« L’intraitable » Robert Mugabe négocie son départ du pouvoir zimbabwéen
« L’intraitable » Robert Mugabe négocie son départ du pouvoir zimbabwéen
Par Jean-Philippe Rémy (Hararé, envoyé spécial)
Depuis mercredi, à Hararé, une délégation sud-africaine emmenée par Jacob Zuma tente de faire plier le chef de l’Etat de 93 ans pour qu’il démissionne.
Le président zimbabwéen Robert Mugabe en 2008 à Johannesburg, en Afrique du Sud. Il est alors âgé de 84 ans. / Mike Hutchings/REUTERS
C’est le dernier défi de Robert Mugabe : celui destiné à faire mentir tous les pronostics sur son départ. Les militaires, qui ont pris le pouvoir en faisant bien attention de ne pas l’admettre trop franchement, mercredi 15 novembre, le voyaient signer une démission le jour même, et s’en aller tenter de guérir son cancer ailleurs en profitant de sa fortune, déjà placée à l’étranger. Mais le vieux combattant s’est cabré. Refuse de plier. Autocélébration de l’homme de fer qu’il a toujours été, jamais un verre de vin, discipline comme autrefois, tout cela mêlé à un usage gourmand de la violence.
Mais il est à présent au bout de beaucoup de choses : de son existence (il a considérablement diminué), de sa capacité de séduction parmi ses pairs, de celle à renverser toutes les situations. Dans les minutes, les heures ou les jours à venir, il va bien falloir admettre la défaite. Une délégation des ministres sud-africains a été envoyée, mercredi, par le président Zuma, à la recherche d’une solution, en compagnie d’émissaires plus discrets. Et Robert Mugabe négocie. « Dur », selon les uns, « intraitable », « posant des conditions inacceptables », selon les autres, comme, par exemple, dans la nuit de mercredi à jeudi, quand il exige de mettre un veto à la nomination d’Emmerson Mnangagwa, le vice-président qu’il a limogé il a dix jours, pour prendre sa succession à la tête d’une structure intérimaire en attendant l’organisation d’élections.
« Transition assistée par l’armée »
La Constitution prévoit qu’en cas de démission ou d’incapacité du président, c’est le dernier des deux vice-présidents à avoir assumé le pouvoir en son absence qui lui succède temporairement. Or le dernier dans ce cas n’est pas Emmerson Mnangagwa, qui a si souvent rempli cette fonction, mais son homologue, Phelekezela Mphoko, un fidèle de Mugabe.
Et, désormais, entre les factions zimbabwéennes, on ne transige plus. Emmerson Mnangagwa a d’abord échappé à un empoisonnement, puis a été limogé. Il a quitté le pays en promettant, sur les réseaux sociaux, de revenir « dans deux semaines ». Les fidèles de Robert et Grace Mugabe se sont moqués de ce qu’ils ont pris pour une fanfaronnade. Celui qu’on surnomme depuis longtemps avec crainte le « Crocodile » est le cerveau du coup d’Etat, rebaptisé « transition assistée par l’armée », qui a abattu avec une semaine d’avance le pouvoir zimbabwéen tenu par les proches de l’épouse du chef de l’Etat. Le tout, selon plusieurs sources, en parfaite connaissance de cause du pays voisin, l’Afrique du Sud.
Car, si Robert Mugabe comptait sur Pretoria pour lui sauver la mise, c’est raté. Dès le début du processus de « transition assistée par l’armée », la position du président sud-africain, Jacob Zuma, aurait dû l’alerter. Un petit communiqué appelant au calme, aucun rappel tonitruant des principes ni de la légitimité. Et dans lequel ne figurait même pas le nom du chef de l’Etat du Zimbabwe, lequel pouvait compter sur la protection de l’ANC, ce parti ami, uni par tant de luttes, et tout particulièrement sur l’appui, lorsqu’il était au pouvoir, de l’ex-président, Thabo Mbeki. « Comrade Bob », c’était une notion proche du sacré à Pretoria, et quiconque lui cherchait des noises ne pouvait être qu’un agent de la grande conspiration des « impérialistes », à commencer par les Britanniques et les Américains.
Lente dérive
Mais ce temps est fini. D’abord, Jacob Zuma ne connaît qu’une religion, la sienne, et les formules ampoulées héritées de la guerre froide le laissent indifférent. Sauf quand il y a quelque chose à gagner à jouer cette carte-là. Il a à cœur, en revanche, de ne pas s’encombrer d’une explosion zimbabwéenne à ses frontières en ces temps de guerre fratricide au sein de l’ANC, avec une conférence nationale fin décembre où se joue son propre avenir. Il fallait donc se sortir au plus vite de l’ornière zimbabwéenne, mais sans trop marquer ouvertement le lâchage en règle. Pour résumer, il y a une forme de réalisme contrainte, par la pression des événements, de se faire jour dans un milieu, la politique zimbabwéenne, jusqu’ici fermé comme une huître à toute autre considération qu’idéologique. Chose qui a permis admirablement à Robert Mugabe de se maintenir au pouvoir et de s’engager dans une lente dérive qui a fait réduire la taille de l’économie de moitié depuis 2000 et enfler le taux de chômage de la population à 90 %.
L’arrivée de la délégation sud-africaine a donc été laborieuse. « Les militaires n’étaient pas ravis de sa présence, redoutant que cela redonne à Robert Mugabe de la légitimité comme président au lieu de préparer son départ », affirme une bonne source. Plusieurs autres intervenants semblent aussi avoir été impliqués dans les négociations qui ont finalement eu lieu, sans doute à la maison du « Toit bleu », le palais de la famille Mugabe, dans le quartier des très riches et très puissants de Hararé, à Borrowdale.
Au petit matin, la situation semblait bloquée, avec des demandes formulées par Robert Mugabe pour accepter de démissionner et de partir, sans doute, en exil – la Namibie a été évoquée – dans un pays susceptible de l’accueillir, lui et son cancer, qui l’a obligé jusqu’ici à disparaître pour de longs séjours à Singapour. Les journalistes zimbabwéens qui ont osé mentionner son état de santé et les soins reçus dans la cité-Etat d’Asie, il y a seulement quelques mois, avaient été arrêtés aussitôt.