L’Allemagne en pleine tempête politique
L’Allemagne en pleine tempête politique
Par Thomas Wieder (Berlin, correspondant)
L’échec des pourparlers entre conservateurs, Verts et libéraux pourrait pousser Merkel vers la sortie.
Angela Merkel à Berlin, le 20 novembre, après l’échec des négociations de coalition. | Bernd von Jutrczenka / AP
Il était un peu moins de minuit, dimanche 19 novembre, quand Christian Lindner a mis fin au suspense : « Il vaut mieux ne pas gouverner que mal gouverner », a déclaré le président du Parti libéral-démocrate (FDP), rompant ainsi les pourparlers engagés après les législatives du 24 septembre avec les conservateurs (CDU/CSU) et les Verts afin de former un nouveau gouvernement. La décision du FDP ouvre une crise politique en Allemagne, qui pourrait déboucher sur l’organisation de nouvelles élections et pousser Angela Merkel vers la sortie, après douze ans à la chancellerie.
Pour justifier sa décision, M. Lindner a expliqué que les pourparlers n’avaient permis de dégager ni « position commune » ni « confiance mutuelle » entre les différents partenaires. S’exprimant devant la presse depuis les bureaux berlinois du Land de Bade-Wurtemberg, où se tenaient les négociations ce week-end, il a toutefois refusé d’en assumer l’échec, assurant que son parti n’avait cessé de « multiplier les propositions en vue d’un compromis ».
Mme Merkel, elle, n’est apparue devant les caméras que vers 1 h 30. Le visage fermé, le débit plus lent que d’habitude, la présidente de la CDU a qualifié de « regrettable » la décision du FDP. « Nous pensons que nous étions sur la voie de trouver un accord », a-t-elle déclaré, avant d’annoncer qu’elle s’entretiendrait dès lundi avec le président de la République fédérale, Frank-Walter Steinmeier, afin de lui faire « un compte rendu des négociations » et de « discuter de la suite des événements ».
La suite, justement : là est la grande inconnue. Lors de sa brève intervention – à peine cinq minutes –, Mme Merkel s’est contentée d’une phrase de circonstance : « En tant que chancelière chargée des affaires courantes [ce qui est constitutionnellement la mission de son gouvernement depuis la rentrée du nouveau Bundestag, le 24 octobre], je ferai tout mon possible pour que le pays soit bien gouverné dans les difficiles semaines à venir. » Pas un mot, en revanche, sur ses intentions à plus long terme. Fidèle à elle-même, Mme Merkel en a dit le moins possible, comme si elle souhaitait surtout ne se fermer aucune porte afin de ne pas donner le sentiment de s’avouer vaincue tant que demeure pour elle quelque espoir de se maintenir au pouvoir.
Reste que celui-ci est mince. En théorie, rien n’empêche Mme Merkel de chercher à former une majorité alternative à celle qui vient d’échouer. Ayant toujours exclu de s’allier avec Alternative pour l’Allemagne (extrême droite; AfD) et Die Linke (gauche radicale), il ne lui reste pour cela qu’une possibilité : former une nouvelle « grande coalition » avec le Parti social-démocrate (SPD), comme elle l’a déjà fait en 2005 et en 2013. Arithmétiquement possible, cette hypothèse paraît toutefois politiquement peu probable.
Depuis le soir de sa défaite aux élections législatives, Martin Schulz, le président du SPD, s’y est toujours opposé. « Les électeurs ont voté contre une “grande coalition” », a-t-il répété dimanche, lors d’une réunion de militants à Nuremberg (Bavière). Vendredi, Andrea Nahles, la nouvelle présidente du groupe SPD au Bundestag, avait dit la même chose. « La position de départ du SPD n’a pas changé. Nous n’avons pas de mandat pour une nouvelle “grande coalition” », a confirmé Ralf Stegner, vice-président du SPD, dans la nuit de dimanche à lundi.
Même si Mme Merkel ne réussit pas à former une nouvelle majorité, la tenue de nouvelles élections n’est pas pour autant automatique. Pour que celles-ci aient lieu, deux voies sont en effet possibles. La première serait qu’elle propose une motion de confiance au Bundestag et que celle-ci n’obtienne pas la majorité, ce qui autoriserait le président de la République à procéder à une dissolution. C’est ce qui était arrivé en 2005, précipitant la chute de Gerhard Schröder (SPD) et l’arrivée au pouvoir de Mme Merkel. Certains juristes excluent toutefois ce scénario, estimant qu’un chancelier ne peut solliciter la confiance du Bundestag si celui-ci ne l’a pas d’abord élu, ce qui est le cas de la nouvelle assemblée, installée depuis un mois.
Reste une seconde possibilité. Selon l’article 63 de la Constitution, le président de la République a un autre moyen de provoquer de nouvelles élections, mais seulement au terme d’un long processus. Pour cela, il doit d’abord proposer un chancelier au Bundestag. Si celui-ci n’obtient pas la majorité absolue, ce qui n’est jamais arrivé jusque-là, les députés ont alors quatorze jours pour trouver un candidat. Passé ce délai, si n’a été élu qu’un candidat bénéficiant d’une majorité relative, le président peut soit le nommer chancelier, mais en prenant le risque de mettre en place un gouvernement minoritaire, soit dissoudre le Bundestag. De nouvelles élections doivent alors se tenir dans les deux mois.
Si M. Steinmeier en vient à prendre une telle décision, ce ne sera toutefois qu’à contrecœur. « Je ne peux pas m’imaginer que les partis engagés dans les négociations prennent sérieusement le risque de provoquer de nouvelles élections », déclarait-il, ce week-end, au quotidien Die Welt.
En lançant cet avertissement, le président allemand n’est pas seulement fidèle à l’esprit des institutions, celles d’un régime parlementaire qui privilégie le compromis et la stabilité, et qui, pour cette raison, n’envisage des élections anticipées qu’en tout dernier recours. Son observation est sans doute aussi motivée par des considérations purement politiques. Lors du scrutin du 24 septembre, un parti d’extrême droite, l’AfD, est en effet entré pour la première fois au Bundestag depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Or, plusieurs sondages montrent que celui-ci, en cas de nouvelles élections, pourrait continuer à progresser. C’est notamment ce que suggèrent deux enquêtes récentes. Dans l’une, publiée le 14 novembre par l’institut Insa, le parti est crédité de 13,5 % des voix. Dans l’autre, publiée le 18 novembre, il est donné à 13 %. Aux législatives, l’AfD avait obtenu 12,6 % des suffrages.