Aérien : série noire pour les compagnies low cost historiques
Aérien : série noire pour les compagnies low cost historiques
LE MONDE ECONOMIE
EasyJet a annoncé, mardi, un recul de 30 % de son résultat net, en raison du Brexit et de l’intérêt porté par les companies régulières au moyen-courrier. Ryanair est aussi en difficulté.
Le Monde
Les compagnies à bas coûts historiques auraient-elles mangé leur pain blanc ? Depuis la rentrée, elles vivent une véritable série noire. La première, Ryanair, championne européenne des compagnies low cost, a été obligée d’annuler des milliers de vols, plusieurs centaines de ses pilotes étant partis vers des cieux plus cléments.
C’est désormais au tour d’easyJet, l’autre star des compagnies low cost, d’entrer dans une zone de turbulences. Elle a annoncé, mardi 21 novembre, à l’occasion de la publication de ses résultats annuels, une chute brutale de son bénéfice net. Un recul de 30 %, à taux de change constant. Un contrecoup du Brexit. D’octobre 2016 à septembre 2017, easyJet a dégagé « seulement » 343 millions d’euros.
Les dirigeants de la compagnie britannique s’emploient à relativiser ce repli d’ampleur. « Ce n’est pas nouveau », tempère François Bacchetta, directeur général France et Benelux d’easyJet. Selon lui, le recul du bénéfice est lié « à la baisse du change de la livre face au dollar et à une pression sur les prix ». Elle a souffert d’un « effet de ciseaux », détaille Stéphane Albernhe, président du cabinet de conseil Archery Strategy Consulting (ACS). Elle a dû régler le prix de son kérosène, un tiers de ses coûts, avec une livre qui a perdu 15 % face au dollar. « Globalement, cela a impacté son coût d’exploitation », pointe M. Albernhe.
Les fondamentaux d’easyJet semblent solides
Pour M. Bacchetta, ce mauvais résultat, conjoncturel, ne remettrait pas en cause le modèle économique de la compagnie britannique à bas coûts. Carolyn McCall, l’actuelle directrice générale d’easyJet, qui doit passer la main début décembre à son successeur le Suédois Johan Lundgren, abonde en ce sens. « Le modèle d’easyJet est résilient et durable et nous bénéficions d’un élan positif qui permettra à la compagnie de continuer sur la lancée d’une croissance profitable », a avancé, mardi, la dirigeante.
De fait, les fondamentaux de la compagnie semblent solides. Lors de son dernier exercice, easyJet a transporté un nombre record de passagers : 80,2 millions en un an soit une hausse de 9,7 %. Dans le même temps, elle a amélioré son taux de remplissage qui culmine à 92,6 % contre 91,6 % un an plus tôt. « C’est énorme ! », s’écrie M. Albernhe.
La compagnie veut croire que le ciel se dégage devant elle avec la disparition, au cours des derniers mois, de certaines concurrentes. « Nous profitons aussi de la consolidation » du ciel européen, explique M. Bacchetta. Tour à tour, la britannique Monarch Airlines et l’allemande Air Berlin ont cessé leurs activités. EasyJet a bénéficié directement de la faillite de la première.
Intensification de la concurrence
Il n’empêche, si quelques petits rivaux auxquels s’ajoute Alitalia ont dû récemment renoncer, la concurrence s’avive à l’encontre des low cost historiques. Après avoir longtemps méprisé le segment du moyen-courrier à bas coûts, les compagnies régulières européennes comme Air France-KLM, British Airways et Lufthansa s’y jettent depuis quelques années à corps perdu. Transavia, la filiale d’Air France, monte en puissance chaque année. Après avoir racheté Vueling, IAG, maison mère de British Airways, a lancé, au printemps, Level une nouvelle compagnie à bas coûts.
De son côté, Lufthansa pousse les feux de ses deux filiales, Germanwings et Eurowings. De plus petits acteurs s’emploient à grignoter des parts de marché. A l’instar de l’islandaise Wow Air, de la hongroise Wiz Air ou de la scandinave Norwegian.
Cette intensification de la concurrence sonne la fin de « l’âge d’or » des low cost, signale M. Albernhe. Il aura duré une quinzaine d’années pendant lesquelles, les Ryanair et autres easyJet ont fait leur miel avec les « touristes occasionnels », décrit le patron d’ACS. Des flots de passagers constitués en majorité de retraités et d’étudiants « très sensibles au prix des billets, mais sans trop de contraintes de temps ». En moins de vingt ans, les compagnies à bas coûts ont conquis près de 47 % de part de marché du ciel européen (mais seulement 30 % du ciel français).
Une compagnie hybride
Cette époque est révolue. Toutes les grandes compagnies européennes sont aujourd’hui flanquées d’une flottille de filiales à bas coûts. Surtout, détaille un cadre dirigeant d’une grande compagnie, « elles ont copié leur politique tarifaire sur celles des low cost ». EasyJet a senti le vent tourner. Sous la houlette de Carolyn McCall, la compagnie britannique a entrepris une « montée en gamme tout en gardant les mêmes coûts », renchérit le président du cabinet de conseil. « Le positionnement basé sur le plus bas prix n’est plus suffisant » pour attirer le chaland, reconnaît M. Bacchetta.
Le Monde
Depuis quelques années, easyJet drague la clientèle affaires, la plus rémunératrice. Notamment en offrant un grand panel d’options aux passagers. Mais surtout, elle accentue ses ouvertures de lignes et augmente ses fréquences. Une démarche payante. La clientèle affaires « représente 20 % des passagers d’easyJet et même 24 % en France », se frotte les mains M. Bacchetta. Sa part s’accroît d’un point par an. Une progression dopée « parce que la compagnie a fait très tôt le choix de s’installer dans les aéroports principaux », explique le directeur général.
« Aujourd’hui, 60 % du CAC 40 travaille avec easyJet », se flatte-t-il. Tout le contraire de sa rivale Ryanair qui a préféré les plates-formes secondaires peu prisées des hommes d’affaires. Un choix qui a fait longtemps son succès : l’irlandaise est devenue la plus profitable d’Europe avec une rentabilité moyenne d’environ 25 %, contre 5 % à 10 % pour les compagnies régulières.
A en croire, le patron d’ACS, l’avenir pourrait être radieux pour easyJet : « Elle a tout compris. Elle est stratégiquement très bien orientée, mais cela ne se verra pas tout de suite dans ses comptes. » EasyJet semble même s’éloigner de ses racines low cost. Pour devenir une compagnie hybride mi-low cost, mi-régulière. Elle a ainsi débuté un rapprochement avec Norwegian pour offrir à ses passagers l’accès à des destinations long-courriers. En revanche, M. Albernhe se dit « très inquiet pour Ryanair », qui serait « allée trop loin dans le low cost ». Son positionnement de « Lidl du transport aérien » plairait de moins en moins aux passagers.