Vadim Vasilyev, Dmitri Rybolovlev et le prince Albert (de gauche à droite) / VALERY HACHE / AFP

Chronique. Si Thierry Henry est une vitrine, c’est celle du musée des horreurs. Le flot ininterrompu de révélations de Mediapart sur l’AS Monaco, exploitant les documents des Football Leaks, met à nu une institution qu’il serait bien réducteur de décrire comme un club de football.

Il faut que ces documents soient ravageurs pour avoir fait passer au second plan la crise sportive que traverse l’effectif monégasque, entamée sous la fin de règne de Leonardo Jardim et prolongée après l’arrivée sur le banc de l’ancien buteur des Bleus (quatre défaites, deux matchs nuls).

Mais, si l’ASM mérite mieux que les moqueries visant son manque de public, la voilà ramenée à sa vérité : à Monaco, le football est accessoire.

Et bien que les révélations sur l’AS Monaco aient moins suscité de controverses que celles qui concernent le Paris Saint-Germain, malgré leur ampleur, en voici d’abord un bref aperçu :

  • pour contourner le fair-play financier, le propriétaire russe de Monaco, Dmitry Rybolovlev, a conclu un accord avec une agence de marketing sportif qui devait financer le club… avec l’argent personnel de Rybolovlev, transitant par Hong Kong et les Îles Vierges britanniques. Le montage a capoté, mais Monaco a finalement échappé à une grosse sanction grâce à la complaisance de l’UEFA, dont le responsable du fair-play financier a fait l’objet d’un lobbying intensif ;
  • pour recruter des joueurs mineurs, l’AS Monaco a eu recours – comme beaucoup de ses rivaux européens – à des méthodes contraires aux règles du football, comme des primes aux joueurs et à leurs parents. La Fédération française de football (FFF) et la Ligue (LFP) ont ouvert une enquête ;
  • pour contourner d’autres règles de la Ligue en France, le club a passé des contrats « sous seing privé », notamment avec des agents de joueurs, échappant ainsi aux radars de la LFP ;
  • pour ne pas être ennuyé en Principauté, Dmitry Rybolovlev a arrosé les institutions monégasques – palais, ministres, police – d’invitations pour les matchs de l’ASM, y compris pour des rencontres à l’étranger. Un emploi au club et une place au centre de formation ont aussi été procurés pour des proches de personnalités politiques monégasques ;
  • pour arrondir les revenus du directeur général, Vadim Vasilyev, une prime équivalant à 10 % des plus-values sur les ventes de joueurs lui était versée – des moins-values étaient déduites le cas échéant.

Ce sont ces deux dernières révélations qui disent le mieux ce qu’est devenue l’AS Monaco sous le règne russe, et invitent à la compassion pour les supporteurs de ce qui demeure une référence dans le football français.

La spéculation prime sur le football

Dans les années suivant son rachat par M. Rybolovlev, Monaco a d’abord été le jouet de l’agent portugais Jorge Mendes, en affaire avec le Russe dans son commerce de « parts » de joueurs (la fameuse TPO, pratique qui consiste pour un club à céder une partie des « droits de propriété » sur un joueur à un fonds d’investissement).

Le club est ensuite devenu l’otage d’un échange de services entre le prince Albert et M. Rybolovlev, qui a, selon les révélations de Mediapart, subitement menacé de ne plus verser un centime à l’ASM à la suite d’une « embrouille » avec le souverain, mettant le club au bord du dépôt de bilan.

Les objectifs personnels de l’homme d’affaires russe semblent passer devant la bonne marche du club, comme lorsque les nombreuses invitations envoyées à différentes personnalités de la Principauté pour des matchs de gala se font au détriment des revenus de Monaco.

Et le club a été, tout ce temps, l’objet d’un troisième homme que le football français avait en bonne grâce, le directeur général, Vadim Vasilyev. Car ce que les Football Leaks révèlent, c’est que, à compter d’août 2013, le « trading de joueurs » n’était plus seulement essentiel au modèle économique de l’AS Monaco : il l’était aussi aux finances de son directeur général.

Le trading de joueurs est cette politique économique qui consiste à pousser à l’extrême la logique financière du marché des transferts en acquérant une multitude de jeunes joueurs prometteurs dans l’espoir d’en tirer un bénéfice financier quelques années plus tard après les avoir fait progresser et mis en valeur dans une belle vitrine, la Ligue des champions.

Ce modèle fait énormément de casse humaine, car il envoie la majorité de ces jeunes en prêt dans d’autres clubs ou en équipe réserve. Mais il suffit d’une « belle vente », comme celles de James Rodriguez, Anthony Martial ou Kylian Mbappé, pour rentabiliser le système.

En récupérant 10 % de toutes les plus-values effectuées par l’AS Monaco, Vadim Vasilyev avait tout intérêt à encourager ce système court-termiste, qui a certes souvent réussi au club sur le terrain, mais a donné l’impression qu’en Principauté la spéculation primait sur le football.

Que les primes du directeur général soient indexées sur le montant des ventes du club et non sur les résultats sportifs, cela suffit à résumer le projet de l’AS Monaco : un club qui ne s’occupe plus de football depuis des années, mais se voit rattraper cette saison par le sport qu’il a méprisé.