L’Europe ouvre la voie à la très décriée pêche électrique
L’Europe ouvre la voie à la très décriée pêche électrique
Par Pierre Le Hir
Les ONG estiment que cette méthode de capture utilisée par les Pays-Bas « transforme l’océan en désert ».
Un chalut de fond électrique avant sa mise à l’eau en mer du Nord. / Bloom
Pour les défenseurs de la vie marine, c’est un très mauvais signal que vient d’adresser la commission de la pêche du Parlement européen. Celle-ci, réunie mardi 21 novembre, s’est prononcée, par vingt-trois voix contre trois, en faveur d’un possible développement de la pêche électrique.
Cette pratique, décrit l’association Bloom qui milite pour la protection des écosystèmes marins, consiste à « envoyer des décharges dans le sédiment afin de capturer plus facilement les poissons plats qui y sont enfouis ». Autrement dit, à les traquer dans leur dernier refuge à coup d’impulsions électriques. A cette fin sont utilisés des chaluts à perche – des filets fixés à une armature rigide et lestés pour racler les fonds – dont les chaînes sont remplacées par des électrodes. La technique cible principalement la sole, ce qui conduit l’association Robin des Bois à la qualifier de « taser pour les soles ».
L’Union européenne a pourtant interdit en 1998 la pêche électrique, bannie également par les Etats-Unis, le Brésil ou la Chine. Mais, depuis 2007, des dérogations ont été accordées par la Commission de Bruxelles. Elles autorisent cette méthode de prélèvement, à titre expérimental, mais seulement à hauteur de 5 % des flottes de chalutiers à perche de chaque Etat membre, et uniquement en mer du Nord.
Or, dénonce Bloom, qui a porté plainte contre les Pays-Bas auprès de la Commission, « la flotte néerlandaise a équipé 28 % de ses chalutiers », soit 84 navires dotés de filets électriques sur une flotte de 304 bateaux. Quelques bâtiments allemands et britanniques utilisent eux aussi cette technique, à laquelle les pêcheurs français n’ont pas recours.
Les Pays-Bas, dont les entreprises de pêche industrielle sont très puissantes en Europe, ont été à la manœuvre pour faire évoluer la réglementation vers davantage de permissivité. Les dispositions adoptées par la commission spécialisée du Parlement européen autorisent un seuil de 5 % de pêche électrique pour tous les « métiers », c’est-à-dire tous les types de pêche, et non plus seulement pour les flottes de chaluts à perche des Etats membres. D’autres espèces que les soles pourraient donc potentiellement être ciblées. En outre, toute limitation est supprimée pour la mer du Nord. De surcroît, au bout de quatre ans, la limite de 5 % pourra être levée, si des études n’ont pas démontré un effet délétère pour les écosystèmes.
« Brûlures et ecchymoses »
Pour les associations environnementales, comme l’ONG européenne Seas at risk, ces mesures « affaiblissent gravement » la législation en vigueur. Le président de la Commission de la pêche, le Français Alain Cadec (groupe du Parti populaire européen), assure au contraire que le texte « encadre de manière stricte la pêche électrique » et « n’ouvre aucune porte à son extension ».
Les partisans de cette pratique font valoir qu’un chalut à impulsions, plus léger, consomme deux fois moins de carburant qu’un chalut à perche conventionnel et détériore moins les fonds marins. « La technique est très efficace, mais elle transforme l’océan en désert », répond Frédéric Le Manach, directeur scientifique de Bloom.
Il n’existe pourtant pas d’étude évaluant l’impact sur la ressource halieutique en général, ainsi que sur les œufs, les juvéniles, ou encore sur les espèces électrosensibles comme les raies ou les requins. Toutefois, selon Bloom, « de nombreux témoignages rapportent que les poissons remontés dans les chaluts montrent souvent des brûlures, des ecchymoses et des déformations du squelette consécutives à l’électrocution ».
Le Conseil international pour l’exploration de la mer, qui coordonne les recherches sur les ressources et l’environnement marins, a du reste rendu, en février 2016, un avis mettant en avant le principe de « précaution » et préconisant de poursuivre les travaux sur les impacts à long terme. Dans une tribune publiée, mi-novembre dans Le Monde, des scientifiques et des responsables politiques européens, dont l’ex-ministre française de l’écologie Ségolène Royal, avaient appelé l’Europe à prohiber définitivement une technique « tout aussi menaçante pour les ressources que pour les pêcheurs eux-mêmes ».
Le dossier n’est cependant pas clos. Il doit encore être examiné en séance plénière du Parlement européen – à une date à ce jour non fixée –, avant la réunion du trilogue associant Parlement, Commission et Conseil des ministres. Un sursis pour les poissons des fonds marins pourchassés par tous les moyens.