De gauche à droite: un rat « chimérique » porteur d’un pancréas de souris; un rat de laboratoire classique; une souris potentiellement receveuse d’un greffon de cellules pancréatiques. | Tomoyuki Yamaguchi

Des chercheurs japonais, américains et britanniques viennent d’ouvrir une piste pour pallier la pénurie d’organes à transplanter chez des patients receveurs : celle de cultiver des greffons chez un animal hôte. Pour l’instant, cette technique qui n’est pas sans soulever des difficultés techniques et des questions éthiques, est loin d’en être au stade d’expérimentation chez l’homme.

L’article, publié mercredi 25 janvier sur le site de la revue Nature, apporte une preuve de la faisabilité de cette approche impliquant deux espèces différentes, en l’occurrence des souris et des rats. Les scientifiques ont fait pousser chez des rats un pancréas à partir de cellules souches pluripotentes de souris. Ils ont ensuite montré qu’une fois greffé à des souris reproduisant le modèle du diabète de type 1, cet organe fonctionnait normalement, traitant ainsi la maladie.

La Fédération internationale du diabète estime que 415 millions de personnes dans le monde sont touchées par cette maladie, qui progresse de façon fulgurante dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, et 5 millions en meurent chaque année. En France, plus de 3 millions d’individus prendraient un traitement contre le diabète. Pour les personnes chez lesquelles le traitement se révèle inefficace ou celles dont le pancréas ne produit pas d’insuline - l’hormone indispensable à la réduction du taux de sucre dans le sang (glycémie) -, le recours à la greffe pancréatique apparaît comme une solution possible.

Compenser la pénurie de greffons

Le problème est la difficulté à obtenir des greffons. Le rapport publié en 2016 par l’Agence de la biomédecine précise qu’en 2015, sur un total de 5 746 organes greffés, le pancréas ne représentait que 78 transplantations (79 en 2014).

Pour compenser le défaut de donneurs humains, certains chercheurs se sont lancés dans la culture in vitro. Mais, il y a un pas de géant entre faire pousser des cellules et reproduire dans une boîte de Pétri l’organisation complexe d’un organe fonctionnel.

C’est ce qui a amené Tomoyuki Yamaguchi (Université de Tokyo, Japon) et ses collègues à explorer la possibilité de cultiver dans une espèce hôte un pancréas d’une autre espèce. Les chercheurs ont injecté des cellules souches pluripotentes de souris dans des embryons de rats, à un stade précoce, dépourvus du gène indispensable au développement du pancréas. Les rats qui se sont développés comportaient des cellules issues des deux lignées - rat et souris - sauf pour le pancréas, dont seule la lignée provenant de souris a pu spontanément se développer. Les vaisseaux qui le vascularisent étaient cependant de type rat.

Les chercheurs ont prélevé dans le pancréas de ces rats les amas de cellules productrices d’insuline, appelés îlots de Langerhans, accompagnés de leurs vaisseaux. Cela imposait un traitement immunosuppresseur lors de cette xénogreffe puisqu’elle incluait des éléments appartenant à l’espèce rat.

« Une preuve en faveur du concept d’animaux incubateurs » Sylvaine You (Inserm)

Les îlots de Langerhans ont ensuite été greffées chez des souris de la même lignée que celles ayant fourni les cellules souches, mais rendues diabétiques par une destruction chimique des cellules productrices d’insuline. Les îlots transplantés ont non seulement survécu chez les souris receveuses, mais ils ont remplacé l’organe détruit pour sécréter de l’insuline et normaliser la glycémie. Un court traitement immunosuppresseur (5 jours) a prévenu le rejet du greffon, probablement car les éléments vasculaires provenant des rats ont rapidement été éliminés.

« C’est un travail très intéressant qui apporte une preuve en faveur du concept d’animaux incubateurs avancé par cette équipe, commente Sylvaine You, chercheur à l’Inserm (Unité 1151, hôpital Necker, Paris). Certes, le modèle choisi fait appel à deux types de rongeurs mais ils constituent bien deux espèces distinctes. Est-ce que cela serait transposable à d’autres animaux et finalement à l’espèce humaine avec un hôte animal ? Il est bien trop tôt pour le savoir. »

Des difficultés à résoudre

Dans l’étude, chez les animaux concernés un seul gène détermine la croissance du pancréas. Cela peut constituer une limite quand il y en a plusieurs, estime Sylvaine You. La chercheuse française souligne d’autres difficultés à résoudre: « Dans le travail de Yamaguchi et ses collègues, les souris greffées appartiennent à la même lignée que celles ayant fourni les cellules souches. Si l’on transposait à l’espèce humaine, il faudrait utiliser des cellules pluripotentes dérivées de cellules adultes différenciées (cellules dites iPS) de l’individu à qui la greffe pancréatique est destinée. Ce serait donc une médecine personnalisée, avec les problèmes matériels et économiques que cela suppose. »

Outre les interrogations éthiques sur les  animaux « usines à organes », Sylvaine You soulève la question des patients concernés en priorité : les diabétiques de type 1 insulinodépendants, moins nombreux que ceux atteint par le type 2. « Dans ce type de diabète qui débute dans l’adolescence, un mécanisme auto-immun entraîne la destruction des îlots de Langerhans. A supposer que l’on puisse appliquer le concept à l’homme, on ne résoudrait pas la pathologie auto-immune de départ. » La route est donc encore très longue avant que le travail de Tomoyuki Yamaguchi et ses collègues ait d’éventuels prolongements en médecine.