La justice suspend l’autorisation de nouveaux pesticides « tueurs d’abeilles »
La justice suspend l’autorisation de nouveaux pesticides « tueurs d’abeilles »
Par Stéphane Foucart, Stéphane Mandard
Le tribunal administratif de Nice ordonne la suspension de l’autorisation de mise sur le marché de deux produits à base de sulfoxaflor, délivrée en septembre par l’Anses.
Une ruche à Montpellier. / PASCAL GUYOT / AFP
C’est un camouflet majeur pour l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Saisi en référé par l’association Générations futures, le tribunal administratif de Nice a ordonné, jeudi 23 novembre, la suspension de l’autorisation de mise sur le marché de deux formulations commerciales (Closer et Transform) à base de sulfoxaflor, un nouvel insecticide apparenté aux néonicotinoïdes, développé par Dow Agrosciences, le géant américain de l’agrochimie.
L’Anses avait autorisé ces deux nouveaux produits le 27 septembre, suscitant la vive protestation des apiculteurs français, les accusant d’être des « tueurs d’abeilles ». Dans son ordonnance, le tribunal demande la suspension immédiate de l’autorisation de ces deux produits, « jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur [leur] légalité ». Une nouvelle audience devrait se tenir dans quelques mois. Dow Agrosciences et l’Anses disposent de quinze jours pour faire appel.
« Nouvelles données »
Les doutes sur la légalité des deux autorisations de mise sur le marché reposent sur le respect du principe de précaution. Le tribunal s’est appuyé sur l’existence de données nouvelles n’ayant pas été prises en compte par l’Anses pour rendre sa décision :
« Un communiqué de presse rédigé conjointement par le ministre de la transition écologique et solidaire et par celui de l’agriculture fait état de nouvelles données scientifiques relatives aux risques du sulfoxaflor et rappelle qu’une demande a été faite à l’Anses pour examiner prioritairement les dites données, dans un délai de trois mois, ce qui confirme l’absence de certitude quant à l’innocuité de ce produit, note le tribunal dans son ordonnance. Par suite, le moyen tiré de ce que l’autorisation accordée ne respecte pas le principe de précaution […] est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. »
L’objection soulevée par le tribunal administratif de Nice pose la question, en creux, de la légalité des autorisations délivrées aux substances phytosanitaires au niveau européen. « Ce dossier révèle une situation scandaleuse sur la gestion des homologations européennes des matières actives de pesticides qui sont accordées en l’absence de données pourtant essentielles sur la sécurité des produits, appelées données confirmatives, qui ne seront transmises que deux années plus tard, relève François Veillerette, porte-parole de Générations futures. Cette situation doit cesser au plus vite, et nous en appelons aux ministres français concernés pour agir vite sur cette question. » Saisi de ce sujet par l’ONG Pesticide Action Network, le médiateur européen avait d’ailleurs sèchement tancé la Commission européenne, en février 2016, l’accusant d’être « trop légère dans ses pratiques et ne pas tenir suffisamment compte du principe de précaution ».
Dans un communiqué, l’Anses « prend acte de la décision du tribunal de Nice » et précise que « suite à sa saisine par le ministre de la transition écologique et solidaire et par le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, l’Agence poursuit son travail d’expertise des données confirmatives produites par le demandeur auprès de l’Etat membre rapporteur, et fera part de ses observations aux ministres, dans un délai de trois mois. »
« Coup d’arrêt à l’utilisation systématique de pesticides »
Interrogé par Le Monde, l’avocat de Générations futures, Me François Lafforgue, se félicite de la décision du tribunal. « Elle met un coût d’arrêt à cette logique d’utilisation systématique des pesticides. Aujourd’hui, la réponse judiciaire est adaptée à la situation, et on espère désormais que la réponse politique suivra sur les effets nocifs des pesticides sur la santé humaine, en créant notamment un fonds d’indemnisation des victimes ». L’avocat veut également y voir « un signal positif dans le cadre du réexamen de l’homologation du glyphosate ». Lundi 27 novembre, les Etats membres de l’Union européenne doivent se prononcer, en comité d’appel, sur la réhomologation du fameux herbicide.