Dans la ferme d’Edward Folk, à Brentwood, au Royaume-Uni, où l’on emploie du glyphosate. / MARY TURNER / REUTERS

La saga du glyphosate touche à son terme. L’Union européenne devait décider, lundi 27 novembre dans l’après-midi, de réautoriser ou non le célèbre herbicide, le produit phytosanitaire le plus utilisé au monde et principe actif du célèbre Roundup. Après deux ans et demi d’expertises contradictoires, d’atermoiements et de réautorisations temporaires, il ne reste plus d’échappatoire.

Les représentants des Vingt-Huit, réunis en comité d’appel après l’échec de toutes les tentatives précédentes pour s’accorder, doivent s’exprimer sur la proposition de la Commission européenne : réautoriser pour cinq ans le pesticide sur le Vieux Continent. Des marges de discussions demeurent toutefois possibles au cours de la réunion et la proposition de Bruxelles pourrait se voir amendée avant d’être mise au vote. Des palabres de dernière minute ne sont d’ailleurs pas exclues : le ministre français de l’agriculture, Stéphane Travert, devait rencontrer le commissaire européen à la santé, Vytenis Andriukaitis, quelques heures avant la réunion.

Selon nos informations, le rapport de force n’était encore, à la veille du vote, guère favorable au projet de l’exécutif européen. La Commission a en effet besoin d’une majorité qualifiée rassemblant au moins 55 % des Etats membres, représentant au moins 65 % de la population européenne. Le quota des 55 % d’Etats favorables devrait être atteint, mais le seuil des 65 % de la population européenne pourrait demeurer hors de portée.

De fait, l’Italie, l’Autriche et la Belgique s’apprêteraient à voter contre, aux côtés de la France. « Considérant les risques, la France s’opposera à [la] proposition [de la Commission] et votera contre, a rappelé Brune Poirson, la secrétaire d’Etat auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, dans une tribune publiée la veille de la réunion dans Le Journal du dimanche. La France veut construire une sortie progressive du glyphosate et, avec plusieurs partenaires, pense qu’une durée plus courte [que cinq ans] serait possible. » La France, suivie par sept autres pays européens, demande en outre une réforme profonde des agences d’expertise.

Le poids de l’Allemagne

Paris semble ainsi s’aligner sur le Parlement européen qui a voté, fin octobre, en séance plénière, une résolution non contraignante enjoignant à la Commission « d’adopter les mesures nécessaires à l’élimination progressive de la substance active glyphosate dans l’Union européenne d’ici au 15 décembre 2022 au plus tard et de s’assurer que toute utilisation du glyphosate est interdite à partir de cette date », ce délai incluant les périodes au cours desquelles les stocks peuvent être écoulés et utilisés.

L’Allemagne, elle, s’était abstenue lors du dernier comité ; l’issue du vote de lundi repose en grande partie sur elle. Cependant, les difficultés que continue de rencontrer la chancelière Angela Merkel pour former un gouvernement semblent maintenant fermer toute possibilité de changement de position du pays. D’autant que le feuilleton du glyphosate y est suivi de près par l’opinion et que les Verts représentent outre-Rhin une force politique non négligeable. Sauf surprise, l’Allemagne devrait donc de nouveau s’abstenir. En retirant du jeu la part décisive qu’elle représente dans la population européenne (16 %), et en rendant impossible l’obtention d’une majorité qualifiée.

Que se passera-t-il en cas d’échec de la proposition de Bruxelles ? Si les Etats membres ne parviennent pas à s’entendre sur d’éventuels amendements, ce sera à l’exécutif européen de trancher. S’il se confirme, le ralliement de dernière minute à sa proposition de la Bulgarie et de la Roumanie – qui s’étaient auparavant abstenues – devrait permettre à la Commission de se prévaloir du soutien de 16 des 28 Etats. L’exécutif européen pourrait arguer de ce socle de légitimité pour passer en force et imposer son projet.

Dommages et intérêts

Une telle option serait politiquement délicate, puisqu’elle passerait outre non seulement la majorité qualifiée nécessaire et la résolution du Parlement, mais aussi l’initiative citoyenne européenne – une procédure encadrée par les instances de l’Union – demandant une sortie du glyphosate et qui a rassemblé, en quelques mois, plus d’un million de signatures.

Une autre option, plus radicale, est théoriquement possible : si la Commission refuse d’endosser le coût politique d’une réautorisation de l’herbicide controversé, elle peut ne pas prendre de décision et laisser expirer la licence du glyphosate. Celle-ci arrive à échéance le 15 décembre. Le temps pour les industriels d’écouler leurs stocks et pour les utilisateurs d’utiliser les leurs, le pesticide disparaîtrait d’Europe dans les deux ans environ.

Une telle décision ne serait pas sans risque juridique : les vingt-quatre firmes agrochimiques commercialisant des produits à base de glyphosate pourraient alors poursuivre la Commission. Celle-ci confirme avoir reçu plusieurs courriers en ce sens, au cours du mois d’octobre. D’après le quotidien allemand Tagesspiegel, certaines firmes évoquent le montant de 15 milliards d’euros de dommages et intérêts si Bruxelles ne réautorise pas le glyphosate. Le 13 novembre, auditionné par la commission de l’agriculture du Parlement européen, M. Andriukaitis a déclaré aux eurodéputés : « Si je suis vos conseils, qui paiera les amendes si cela se finit au tribunal ? C’est moi qui suis responsable, pas vous. »