« Dans cinq ans se reposera la question d’un renouvellement de la licence du glyphosate »
« Dans cinq ans se reposera la question d’un renouvellement de la licence du glyphosate »
Les journalistes du « Monde » Stéphane Foucart et Stéphane Horel ont répondu à vos questions concernant le renouvellement pour cinq ans du glyphosate par l’Union européenne.
Manifestation contre le glyphosate, le 27 novembre, à Bruxelles. / EMMANUEL DUNAND / AFP
Après la décision d’Etats membres de l’Union européenne de voter, lundi 27 novembre, en faveur du renouvellement du glyphosate pour cinq ans, les journalistes du service Planète du Monde Stéphane Foucart et Stéphane Horel ont répondu aux questions d’internautes.
Panco : Dans l’hypothèse d’un mouvement massif de la population européenne, le renouvellement du glyphosate pour cinq ans pourrait-il être encore remis en cause ou cette décision est-elle ferme ?
Stéphane Horel, journaliste au service Planète du Monde : Un renouvellement est un renouvellement. La question se reposera donc dans cinq ans. Rien n’empêche cependant les eurodéputés de contester cette décision alors qu’ils avaient demandé l’interdiction progressive du glyphosate en cinq ans.
Gui : La France a-t-elle la possibilité d’interdire le glyphosate sur son sol dans trois ans comme c’était souhaité par Nicolas Hulot ?
Stéphane Foucart, journaliste au service Planète du Monde : La France, par la voix de son Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), pourrait tout à fait interdire sur son territoire toutes les formulations commerciales à base de glyphosate. Par exemple, la France a interdit la quasi-totalité des formulations à base de chlorpyriphos, matière active insecticide autorisée en Europe.
Cependant, l’interdiction des produits à base du glyphosate en France mettrait les agriculteurs français dans une situation de concurrence déloyale par rapport à ceux des autres pays qui permettraient le recours à ces produits.
V_Teix : A cet instant précis, on est sûr du caractère dangereux pour la santé et pour l’environnement du glyphosate ?
Stéphane Horel : En mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une agence des Nations unies, a classé le glyphosate « cancérogène probable pour l’homme » sur la base d’études publiées dans les revues scientifiques.
Les agences réglementaires européennes, en revanche, ont jugé que le glyphosate ne posait pas de problème pour la santé. Elles se sont fondées sur les études sponsorisées par Monsanto et les industriels commercialisant le glyphosate dans l’EU, ainsi que sur des études sélectionnées par ces derniers.
Claude : La Commission pourrait-elle obliger la France à remettre sur le marché français le glyphosate ? Monsanto pourrait-il attaquer la France en justice à partir de cette décision ?
Stéphane Foucart : Non, la Commission européenne ne peut pas obliger un pays européen à remettre sur le marché des formulations commerciales à base de glyphosate. En revanche, le glyphosate demeurera autorisé globalement au niveau européen.
Flo : Savons-nous quel poids ont joué les pétitions des associations environnementales qui demandaient un vote « contre » et qui ont réuni plusieurs centaines de milliers de votes ? Ont-elles eu une influence politique ?
Stéphane Foucart : L’initiative citoyenne européenne demandant l’interdiction du glyphosate et une sortie progressive du système agricole fondé sur les intrants chimiques a réuni plus d’un million de signatures en quelques mois. Mais cela n’a pas, apparemment, infléchi la volonté de Bruxelles de réautoriser l’herbicide.
Honte d’être européen : Suite aux « Monsanto Papers », y a-t-il une chance que l’Europe soit un jour poursuivie et condamnée pour corruption ?
Stéphane Foucart : C’est très peu probable. Mais plusieurs députés européens demandent la constitution d’une commission d’enquête sur ces « Monsanto Papers » et ce qu’ils révèlent de l’intégrité du processus d’expertise mis en place en Europe.
Tim : Connaissez-vous l’« Agriculture Health Study », une grande étude statistique qui prouve que le glyphosate ne tue pas les agriculteurs et qui n’a pas été prise en compte par le classement du CIRC ? Le terme de « cancérogène probable », quant à lui, n’est-il pas un peu faible pour faire interdire le produit, sachant que d’autres, plus basiques — comme la charcuterie ou le soleil —, sont cancérogènes avérés ?
Stéphane Foucart : L’Agricultural Health Study (AHS) a été prise en compte dans la monographie du CIRC : il s’agissait de la première publication, de 2005, sur le sujet. A l’époque, cette publication ne trouvait pas d’associations entre lymphomes non hodgkiniens (des cancers du sang) et glyphosate, dans cette grande cohorte. Mais le CIRC a aussi pris en compte d’autres études sur le sujet et considère que l’AHS ne l’emportait pas sur l’ensemble des travaux disponibles et évalués par le CIRC.
La publication des données les plus à jour de l’AHS, le 9 novembre dans le Journal of the National Cancer Institute, ne met pas non plus en évidence de liens entre ces lymphomes et le glyphosate, mais suggère un doublement du risque de leucémie myéloïde aiguë chez les plus gros utilisateurs. Au reste, une étude épidémiologique, même conduite par des chercheurs chevronnés, n’est jamais exempte de biais ou de faiblesses. En l’occurrence, les « Monsanto Papers » montrent que les scientifiques de la firme agrochimique considéraient cette étude fortement biaisée.
Par ailleurs, la loi européenne dispose que tout pesticide classé « cancérogène probable » doit être retiré du marché, en application du principe de précaution (pour obtenir la classification « cancérogène pour l’homme », il est nécessaire de disposer d’études épidémiologiques sur les humains, c’est-à-dire qu’il faut techniquement attendre que les gens contractent des maladies).
Niko : Que va-t-il se passer dans cinq ans ? Nous reviendrons au même point, personne ne va chercher d’alternative ?
Stéphane Horel : Dans cinq ans se reposera à nouveau la question d’un renouvellement de la licence du glyphosate. La recherche d’alternatives dépend tout à la fois de la volonté des agriculteurs, des gouvernements mais aussi des firmes. Le tout sous l’œil sans doute très attentif, voire méfiant, des consommateurs.