Guy Novès-Bernard Laporte, le duo contrarié du rugby français
Guy Novès-Bernard Laporte, le duo contrarié du rugby français
Par Adrien Pécout
Cette désolante tournée de novembre risque de compliquer encore les relations de travail entre le sélectionneur du XV de France et le président de la Fédération française.
Guy Novès, sur la pelouse de l’U Arena de Nanterre, samedi 25 novembre 2017. / FRANCK FIFE / AFP
Les deux hommes ne se sont pas choisis mais font avec, jurent-ils sur les grands dieux de l’Ovalie. La désolante tournée de novembre qui vient de s’achever, pourtant, soulève quelques questions. Jusqu’à quand Guy Novès supportera-t-il Bernard Laporte, et réciproquement ? Le premier a été nommé sélectionneur du XV de France dès novembre 2015 ; le second, élu président de la Fédération française de rugby (FFR) en décembre 2016.
Jamais encore un président de la FFR n’a viré un sélectionneur du XV de France en cours d’exercice. Lui-même ancien sélectionneur, Bernard Laporte a promis qu’il maintiendrait Guy Novès jusqu’à la Coupe du monde 2019 au Japon. Mais la situation se tend pour celui-ci. A plus forte raison depuis ces trois tests à domicile : deux défaites contre la Nouvelle-Zélande (38-18) et l’Afrique du Sud (18-17), puis un match vraiment nul contre le Japon (23-23), samedi 25.
Bernard Laporte envisage déjà d’ajouter « du sang frais dans le staff ». « Je n’évincerai personne, par contre il faudra discuter », a-t-il déclaré à Sud Radio, avant même le simulacre de match contre les Springboks. Dimanche 26 novembre, une semaine plus tard, Guy Novès préfère botter en touche. « Ça ne regarde que Bernard Laporte et moi. S’il a quelque chose à me proposer, il me le proposera. Pour l’instant, ce n’est pas le cas », a-t-il affirmé à l’Agence France-Presse.
Triste record
Novès, que l’on dit si soucieux de son autonomie, tolérera-t-il l’arrivée d’un renfort censé superviser le staff et lui avec ? Pour l’heure, il fonctionne avec deux adjoints qu’il a connus à la belle époque, lorsqu’il les entraînait au Stade toulousain : « Jeff » Dubois pour les arrières, Yannick Bru pour les avants (déjà là avant 2015).
Selon le quotidien L’Equipe, Laporte songerait à proposer un rôle de « supermanageur » à Clive Woodward, seul entraîneur à avoir gagné une Coupe du monde avec une équipe de l’hémisphère Nord, l’Angleterre, en 2003. La piste est à prendre avec prudence : il y a deux ans, ce même Laporte avait considéré « dramatique » l’éventualité que Woodward, un étranger, devienne sélectionneur du XV de France, poste que convoitait le Britannique.
Pris au piège de paramètres qu’il ne maîtrise pas et d’une crise structurelle du rugby français qui le dépasse largement, Novès, entraîneur le plus titré du pays avec Toulouse, refuse aujourd’hui d’abandonner :
« L’Argentine, par exemple, dont on m’a seriné pendant des mois qu’elle était l’exemple à suivre : après sept défaites de suite contre les meilleures nations mondiales, vous pensez que son entraîneur pense à démissionner ? Ou bien plutôt à comment faire progresser son équipe ? »
Le sélectionneur ne pourra revoir ses joueurs qu’en février, juste avant le Tournoi des six nations – que la France n’a plus soulevé depuis 2010 déjà. Toute la question restant de savoir avec quel périmètre d’action. Son bilan comptable l’affaiblit toujours plus (seulement 7 victoires en 21 matchs, un « record »), et la pauvreté du jeu proposé inquiète d’autant.
Speech sud-africain
A l’inverse, le seul succès du mois est à mettre au crédit de Laporte, qui se retrouve en position de force : mercredi 15 novembre, la France gagnait l’organisation de la Coupe du monde 2023. Succès de taille pour le dirigeant, qui dit attendre avec « sérénité », par ailleurs, l’enquête du ministère des sports sur lui pour soupçon de favoritisme envers le club de Montpellier.
En moins d’un an, Novès a déjà subi à plusieurs reprises les interventions du camp Laporte. Dans une interview au Parisien, il a laissé transparaître avec ironie son agacement avant le match du 14 novembre entre les réservistes français et les All Blacks bis, à Lyon : « Un match qu’on [lui] a gentiment proposé » dans son calendrier et qui s’est aussi soldé par une défaite (28-23). Sous-entendu : un match sans valeur officielle qui représentait surtout pour la Fédération française de rugby (FFR) une source de recettes, même s’il a permis de révéler des joueurs (Lacroix et Macalou).
A la mi-octobre, autre désagrément : la FFR annonçait la mise en place d’un entraînement ouvert au public « pour faire le plein de soutiens », et son intention de « renforcer la disponibilité des joueurs pour la presse » ; autant d’éléments avec lesquels le sélectionneur a dû composer bon gré mal gré.
Dès juin, comme s’il se substituait à lui, Bernard Laporte avait carrément pris la parole devant les joueurs pendant la désastreuse tournée en Afrique du Sud (trois défaites, 109 points encaissés, 41 marqués). Dans les médias, l’ex-entraîneur devenu dirigeant avait aussi fixé un objectif semblable à un ultimatum piégé, réclamant au moins trois victoires sur quatre lors de cette tournée de novembre. Pour le résultat que l’on sait.
Bernard Laporte (à droite), samedi 25 novembre 2017 à Nanterre, présentant le trophée de la Coupe du monde. / FRANCK FIFE / AFP