Le président de l’Assemblée de Corse ,Jean Guy Talamoni, à Bastia, le 3 décembre. / PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP

Sur la place du marché de Bastia (Haute-Corse), pendant que les producteurs locaux s’activent à monter leurs étals avant l’arrivée des premiers clients, quelques électeurs font leur apparition dans le bureau de vote « n°1 » de la ville. Des « A voté » commencent à résonner. C’est jour de vote en Corse, dimanche 3 décembre.

Plus de 230 000 électeurs sont appelés aux urnes pour élire les 63 élus de la collectivité unique qui verra le jour au 1er janvier 2018 à la place des deux départements et de la collectivité territoriale de l’île. Une fusion, inédite pour une région métropolitaine, qui est accueillie plutôt favorablement par les électeurs corses. « Avant il y avait trop d’échelons avec les départements et la région. Ça devenait une usine à gaz et ça favorisait le clientélisme et le clanisme », estime Dominique, croisé à quelques mètres de la place du marché.

« J’ai connu la Corse avec un seul département et ça marchait très bien. Une soixantaine d’élus, ça suffit. »

Bonnet bleu sur la tête et barbe fournie, Doume valide partiellement ce changement institutionnel : « Sur la forme, c’est bien, tout fédérer en un seul endroit, ça aide à prendre les décisions. Mais sur le fond, il faudrait que la collectivité ait de véritables pouvoirs de décisions, qu’elle soit écoutée par Paris. »

Malgré l’importance de ce scrutin – qui dirigera la région pour les quatre années à venir ? – les Corses ne se sont pas bousculé aux urnes. Dimanche, à midi, le taux de participation était de seulement 17,52 % contre plus de 20 % à la même heure, lors des élections régionales de 2015. Philippe, musicien de 54 ans, fait partie de ceux qui ont choisi de ne pas se déplacer. « Dégoûté de la politique », il n’a plus voté depuis l’élection présidentielle de 2002. Et s’il ne compte pas le faire aujourd’hui, c’est parce qu’il pense que le résultat est connu d’avance, après une campagne jugée sans grand intérêt par beaucoup : « Gilles Simeoni va passer largement ».

Les nationalistes favoris

Si sept listes sont en concurrence, le président sortant du conseil exécutif de Corse est en effet donné favori avec sa liste Pè a Corsica, issue de l’accord entre son parti, Femu a Corsica, et celui du président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, Corsica Libera. Et si M. Simeoni se disait « raisonnablement confiant » dans la semaine, c’est parce que les nationalistes restent sur deux victoires électorales probantes : aux régionales de 2015 et aux législatives de juin (3 députés sur 4).

Pour les électeurs, ce scrutin est d’ailleurs l’occasion de tirer un premier bilan de leur passage au pouvoir. Doume, qui a voté Emmanuel Macron aux deux tours de la présidentielle mais se dit déçu de la politique menée sur la question corse, est au contraire satisfait de l’action de l’exécutif régional.

« MM. Simeoni et Talamoni sont ultra-crédibles maintenant. Ils ont un charisme, une dimension, ce sont des hommes de terrain. »

« Et ils œuvrent pour la paix, ils savent ce que c’est la guerre », poursuit l’homme de 34 ans, le ton grave, pointant du doigt une rue « où des hommes ont été tués ».

« Ils font ce qu’il faut, mais il faut aussi qu’ils soient écoutés par Paris. Parce qu’aujourd’hui, avec Macron, on n’a aucun retour sur la Corse, c’est que du bla-bla. Si le gouvernement continue à faire la sourde oreille, on n’avancera pas… »

« Ils ont les jeunes derrière eux »

Pour Dominique, qui a toujours voté communiste et comptait encore le faire dimanche, « on voit que le dynamisme se trouve du côté des nationalistes. Ils ont les jeunes derrière eux ». Mais s’il estime que MM. Simeoni et Talamoni ont fait « de bonnes choses », il attribue ce qu’il anticipe comme un « raz de marée » nationaliste à « l’abstention massive et au vote de protestation. Ils ne votent pas pour eux par idéologie ». « Et puis il y avait le clanisme, le clientélisme, qui a été le cheval de bataille des nationalistes. Mais aujourd’hui, ils font pareil », regrette-t-il.

Face au port, où arrivent les navires faisant la liaison avec le continent, Joseph préfère encore attendre avant de « juger ». Souhaitant « plus d’autonomie » sans aller jusqu’à l’indépendance, cet agent hospitalier de 38 ans regrette que la Corse « soit encore trop dépendante de Paris et du continent ».

Mais, selon lui, « ça ne se fera pas du jour au lendemain, il faut procéder par étapes ». Et alors que la question institutionnelle prend beaucoup de place dans le débat local, Joseph espère que les nationalistes, s’ils l’emportent, « agiront également sur l’économie, l’agriculture, l’écologie… C’est un tout, si ces secteurs se développent, les jeunes vont vouloir rester ».