Construire et densifier… en douceur
Construire et densifier… en douceur
Par Isabelle Rey-Lefebvre
D’ici à 2030, le projet du Grand Paris prévoit d’accroître la concentration urbaine de 10 % à 15 %.
Depuis près de dix ans, Jérémie Lenoir photographie des paysages contemporains. Il s’est particulièrement intéressé aux modifications des frontières ville-campagne à travers son projet « Marges ». Ci-contre, « Chantier, Meaux », 2013. / Jérémie Lenoir
La machine française à construire tourne à plein, proche de la surchauffe : 414 000 logements ont été mis en chantier, sur un an, à fin septembre 2017. L’embellie concerne, pour une fois, les zones tendues, à commencer par l’Ile-de-France, avec plus de 80 000 logements édifiés dans la même période, au-delà de l’objectif (70 000 par an) du Schéma directeur de la région (Sdrif), un niveau jamais atteint depuis 2000.
Autre motif de satisfaction : 30 % de ces constructions sont du logement social, donc abordable pour la majorité des Franciliens. Les élus d’Ile-de-France espèrent-ils, lors du prochain scrutin, faire mentir la maxime « maire bâtisseur, maire battu », qui s’est si bien vérifiée lors des élections municipales de 2014 ? Pour que « maires bâtisseurs » rime avec « maires vainqueurs », sujet du colloque organisé mardi 5 décembre, à Paris, au Monde, partenaire de l’événement.
Obligation de se serrer
Car construire, pour un maire, c’est prendre des risques. Economiques, puisque les nouveaux habitants auront besoin d’équipements publics, écoles, voiries, crèches qu’il faudra bien financer. Electoraux, parce que les mêmes peuvent vouloir chambouler la donne politique locale, ou les anciens habitants sanctionner une densification de la commune qu’ils estiment incontrôlée. La population en place vit mal l’obligation de se serrer. Dans un récent sondage des bureaux d’études Chronos et Obsoco sur les usages émergents de la ville (réalisé en octobre), les réponses des sondés établissent un lien très net entre le fait d’habiter une grande ville, notamment Paris, et les nuisances ressenties, cherté de la vie, pollution, bruit, mauvaise qualité de l’air, absence de contact avec la nature… Ainsi, 56 % des Parisiens interrogés et 62 % des Franciliens disent souhaiter « habiter ailleurs », alors que ce n’est le cas que de 33 % des résidents des petites villes. Où aimeraient-ils s’installer ? Pour 49 % d’entre eux, dans « une ville moyenne, petite, ou un village proche d’une grande ville » et, pour 29 %, « à la campagne, loin des pôles urbains ».
Bien que faiblement dotée en immeubles de grande hauteur, Paris est, avec 21 064 habitants par km2, l’une des villes les plus denses au monde, grâce, notamment, à l’îlot haussmannien type et ses immeubles de six étages autour d’une courette plutôt sombre et minérale. « Paris est dense, avec 320 logements par hectare, mais la métropole l’est moins, à 46 logements par hectares en 2012 – alors qu’on n’en comptait que 40 en 1982 – et même 16 dans les nombreuses zones pavillonnaires, détaille Martin Omhovère, directeur du département habitat et société de l’Institut d’urbanisme d’Ile-de-France. Il y a un impératif des pouvoirs publics de densifier, de combattre l’étalement urbain, et c’est ce qui est à l’œuvre avec le Grand Paris. C’est l’objectif du Sdrif, qui vise à accroître encore cette densité de 10 % à 15 % d’ici à 2030, mais aussi une constante des lois nationales, depuis 2000 : loi solidarité et renouvellement urbains [2002] ; loi Grenelle 1 [2009] ; loi de modernisation de l’agriculture [2010], qui veut réduire de moitié la consommation des espaces agricoles ; loi pour un accès au logement et un urbanisme rénové [loi ALUR, 2014]. »
« Respecter l’identité du lieu »
Pour Thierry Lajoie, PDG de la société Grand Paris Aménagement, « la maxime “maire bâtisseur, maire battu” n’est pas une fatalité si les maires construisent bien, avec des aménagements qui respectent l’identité du lieu ». Au Fort d’Aubervilliers, par exemple, un site de 36 hectares qui doit être aménagé et où subsistent quelques tours de logements vides, les jardins ouvriers seront respectés et mis en valeur. « A Romainville, les pavillons sont nombreux, explique sa maire (PS) Corinne Valls, et la densité est faible si l’on compare avec les communes voisines des Lilas ou du Pré-Saint-Gervais. Notre commune va accueillir de nouvelles lignes de métro, le prolongement de la 11 et la création de la 15, le tramway 1 et le bus en site propre T Zen, il faut donc densifier mais avec modération, par de petits immeubles collectifs, avec des jardins potagers, fruitiers, de plantes aromatiques », annonce-t-elle. En 2015, Romainville a été désignée commune la plus bâtisseuse d’Ile-de-France et récompensée d’une prime de 2 000 euros par logement, soit 1,4 million d’euros.
« Il faut proposer un urbanisme doux, agréable, bienveillant, plaide Thierry Lajoie. Cela veut dire libérer des espaces au sol, créer des jardins, des lieux de rencontre, de culture, de respiration, et la densité devient acceptable pour tous les habitants. » L’arrivée d’une nouvelle population dans un quartier peut, en outre, profiter à tous grâce aux équipements, transports et commerces qui l’accompagnent.
La concertation et la pédagogie sont également indispensables pour vaincre les réticences à la construction et au changement : « Il faut écouter tout le monde, mais savoir trancher, car la somme des intérêts individuels n’est pas l’intérêt général, et c’est le rôle du maire », rappelle Thierry Lajoie.
Ce supplément est réalisé en partenariat avec l’Etablissement public foncier d’Ile-de-France (Epfif).