« La figure de Jean d’Ormesson dépasse très largement le milieu littéraire »
« La figure de Jean d’Ormesson dépasse très largement le milieu littéraire »
Dans un tchat, la journaliste au « Monde » Ariane Chemin a répondu à vos questions à la suite de la mort de l’écrivain et académicien, mardi.
Jean d’Ormesson, le 31 janvier, à Paris. / JOËL SAGET/AFP
Aristocrate, écrivain, journaliste, académicien, Jean d’Ormesson était un phénomène français. La journaliste au Monde Ariane Chemin est revenue, dans un tchat, sur la vie et l’œuvre de « Jean d’O. », mort dans la nuit du lundi 4 au mardi 5 décembre à l’âge de 92 ans.
BonjourArianne : Comment décrire Jean d’Ormesson à ma fiancée qui ne le connaît pas ?
Très bonne question ! Je dirais : un écrivain très prolixe, plus connu aujourd’hui par son nom, son sourire, ses yeux bleus que par le titre de ses ouvrages, académicien assidu, homme très cultivé et qui refusait absolument l’idée d’être ringardisé. N’oublions pas que Julien Doré s’est fait tatouer sur l’épaule le nom de « Jean d’O. », comme tout le monde l’appelle affectueusement.
Tapatoudi : En quoi la mort de Jean d’Ormesson mérite-t-elle un live ?
Jean d’Ormesson, c’est la fin d’une époque. C’est un personnage extrêmement populaire, beaucoup de ses amis disaient de son vivant que c’était « un monument national ».
Incompréhension : « Jean d’O. » et ce live ne sont-ils pas plutôt le symbole d’un milieu littéraire parisien fermé sur lui-même ?
La figure de Jean d’Ormesson dépasse très largement le milieu littéraire ! C’est devenu un personnage, regardez le nombre de « unes » d’hebdomadaires qu’il a faites récemment. Tous les candidats de droite à la présidentielle ont rêvé de son soutien. Il fait partie du paysage médiatique, il adorait se produire à la télévision.
Fred : Comment expliquer une telle unanimité pour Jean d’Ormesson ?
Jean d’Ormesson a grandi, vécu et vieilli avec les Français. Il est devenu très populaire grâce à l’émission « Apostrophes ». Bernard Pivot dit toujours qu’il détient le record du nombre d’invitations à son émission sur la littérature. C’est surtout un écrivain de l’optimisme et du bonheur, jamais dans la nostalgie, et en cette période troublée, les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs adorent ça.
Lutz Unterschreiner : La célébrité de Jean d’Ormesson était-elle uniquement franco-française ou dépassait-elle nos frontières ?
Chaque ouvrage de Jean d’Ormesson se vendait à plus de 200 000 exemplaires mais rarement hors de France. Seuls deux de ses romans ont été traduits en anglais au milieu des années 1970. « Jean d’O. » ne s’exportait pas, ce sont des Français qui en raffolent.
Martial : Cela signifie-t-il qu’une élection va avoir lieu pour attribuer son siège vacant à l’Académie française ?
Oui, bien sûr. Mais cela n’est pas pour tout de suite, car il y a avant lui six fauteuils vacants à l’Académie sur quarante. Il y a aura donc d’autres élections avant de pourvoir le fauteuil numéro 12.
Baptiste : Orsenna a dit, ce matin sur France Inter : « Oui, oui, c’était difficile de lui présenter une jeune femme… c’était une épreuve… » Est-ce la fameuse séduction à la française, selon vous ?
Jean d’Ormesson fait partie de ces hommes qui disent toujours « les femmes » et que certains appellent encore des « séducteurs », mot plus très à la mode aujourd’hui ! Dans ses livres, elles se ressemblent toutes et s’appellent presque toutes Marie. Il adorait le XVIIIe siècle et, au fond, il aurait aimé y vivre : c’était un fan de l’amour courtois. Enfin, courtois, si on peut dire, je me souviens que lorsque je l’ai rencontré pour écrire une série en six épisodes dans Le Monde en 2016, il m’avait lâché cette phrase qui m’avait fait un très drôle d’effet : « Vous savez ce qu’on dit ? Les femmes, c’est comme la Légion d’honneur : ça ne se demande pas, ça ne se refuse pas, ça ne s’affiche pas. »
François : Jean d’Ormesson se revendiquait de droite, écrivait comme tel, avait dirigé Le Figaro. Il avait l’art de se sortir de sujets compliqués par des pirouettes verbales, mais sait-on plus ou moins ce qu’il pensait vraiment de l’évolution de la droite française (Sarkozy, Wauquiez) et du phénomène Macron ?
Ariane Chemin : Jean d’Ormesson a eu le chic pour tutoyer le pouvoir, tous les pouvoirs. N’oublions pas qu’il a été le dernier invité de François Mitterrand à l’Elysée en 1995, VGE était son copain d’enfance, ils allaient aux mêmes goûters d’enfants à Neuilly, Nicolas Sarkozy était son voisin dans la même ville. Il adorait Nicolas Sarkozy et se retrouvait dans les valeurs portées par François Fillon.
Fred : Plutôt sympa de voir des politiques de tout bord saluer l’écrivain quand même.
C’était le grand talent de Jean d’Ormesson. Il était consensuel. François Hollande lui a remis une décoration, et il invitait régulièrement Jean-Luc Mélenchon à déjeuner chez lui à Neuilly.
CB Toulouse : On retiendra l’œil qui pétille et la politesse exquise. On oubliera ses positions souvent très réacs. Un écrivain que l’on adore à l’adolescence et dont les livres vous tombent des mains à l’âge adulte.
Jean d’Ormesson s’est policé au fil des années. Il fut une époque où il s’emportait à la radio face à ses contradicteurs de gauche, comme Laurent Leroy (le patron de L’Humanité) dans l’émission « Vendredi soir », sur France Inter, au début des années 1980. « Il était irritant et séduisant à la fois, il le sait, et c’est charmant, il est transgressif, sans nostalgie aristo, mais il a toujours été très à droite et il reste un orléaniste », m’avait raconté François Hollande, qui l’écoutait l’oreille vissée sur le poste.
« Jean d’O. » a tout balayé en décidant de devenir d’abord ce personnage résolument optimiste qui s’enthousiasmait, l’œil brillant, dès qu’on lui racontait une histoire : « C’est épatant ! »
Curieux : Vous décrivez bien le personnage singulier qu’était « Jean d’O. ». Mais vous-même, que pensez-vous de son œuvre ? Avez-vous aimé ses livres ? Mérite-t-elle de passer à la postérité, hormis par l’intermédiaire de La Pléiade.
Je ne sais que répondre. Quand j’ai décidé d’y consacrer une longue série, c’est l’homme qui m’intriguait. J’avais envie de savoir ce qui se cachait derrière son sourire et sa légende.
La Gloire de l’empire fut un best-seller. Il y a aussi des livres très amusants mais jamais réédités, Jean d’Ormesson ne le voulait pas. Et puis peut-être, sa biographie sentimentale, comme il disait, Mon dernier rêve sera pour vous. Sur la quatrième de couverture de l’édition d’origine, on lisait : « Le portrait d’un séducteur par un écrivain – et peut-être aussi l’inverse »…
Son œuvre est disponible dans La Pléiade depuis 2015. Il en rêvait. Ses amis s’en sont occupés. « J’ai mon Nobel », disait-il. Il n’était pas peu fier d’être entré dans le catalogue des écrivains de Gallimard « embaumés » de leur vivant comme Gide, Malraux, Claudel, Char ou Gracq…