L’Ivoirien Cheick Cissé (à droite) est devenu l’an passé, à Rio, le premier champion olympique de l’histoire de son pays. / ED JONES / AFP

L’année 2017 a été désastreuse pour les footballeurs ivoiriens. Eliminés au premier tour de la Coupe d’Afrique des nations, non qualifiés pour la Coupe du monde pour la première fois depuis 2006, les Eléphants n’ont guère eu l’occasion de se mettre en avant.

Un autre sportif, plus inattendu, s’est chargé de rendre heureux le pays. Ce week-end, Cheick Cissé, a remporté à domicile, au Palais des sports de Treichville, à Abidjan, la finale des Grands Prix dans la catégorie des – 80 kg, la compétition la plus importante du taekwondo après les championnats du monde. Cissé n’a pas été le seul combattant ivoirien à briller. Ruth Gbagbi est également montée sur la troisième marche du podium devant son public.

Cheick Cissé et Ruth Gbagbi sont deux récidivistes. Il y a un an, à Rio, ils étaient devenus respectivement le premier champion olympique (hommes et femmes confondus) et la première médaillée olympique (féminine) de l’histoire de leur pays. Jusqu’en 2016, le sport ivoirien n’avait remporté qu’une maigre médaille d’argent, en 1984, grâce à l’athlète spécialiste du 400 m Gabriel Tiacoh.

GRAND PRIX FINAL ABIDJAN 2017
Durée : 03:55

Depuis samedi 2 décembre, la Côte d’Ivoire est en effet la capitale mondiale du taekwondo, un art martial coréen. Après la finale des Grands Prix en individuel, la première organisée sur le sol africain, la Coupe du monde par équipes se déroule, mardi 5 et mercredi 6 décembre, à Abidjan. Handicapé par une blessure, Cissé a déclaré forfait pour ce dernier rendez-vous, ce qui ne l’empêche pas de savourer son succès. « La salle du Palais des sports était bourrée. Les enfants criaient “Cissé, Cissé !” », rapporte-t-il au Monde, deux jours après avoir battu en finale le Russe Maksim Khramtsov.

Maître Kim dans les années 1970

Déjà hôte de la Coupe du monde par équipes en 2013, la Côte d’Ivoire a investi 500 millions de francs CFA (760 000 euros) pour accueillir le gratin du taekwondo mondial. Tous les ministres étaient d’ailleurs présents lors du triomphe de Cheick Cissé. Seul le président, Alassane Ouattara, était retenu par le sommet Union africaine-Union européenne qui se tenait dans le même temps à Abidjan.

Mais cela n’empêche pas le chef de l’état de soutenir ce sport de combat, très populaire dans le pays. Il a reçu dernièrement de la part du président de la Fédération ivoirienne, Bamba Cheick Daniel, un 8e dan du Kukkiwon [le siège mondial du taekwondo situé à Séoul et qui délivre les grades]. « C’est un titre honorifique car il nous a beaucoup aidés, notamment pour organiser ces grandes compétitions pour la première fois en Afrique », explique Emmanuella Ané, arbitre internationale et vice-présidente de la Fédération ivoirienne.

Cheick Cissé lors de son retour triomphal au pays, en août 2016. / ISSOUF SANOGO / AFP

S’il a fallu attendre 2016 pour voir le taekwondo ivoirien remporter un premier titre olympique [sport olympique depuis les Jeux de Séoul en 1988], il existe une véritable tradition de cet art martial en Côte d’Ivoire. A l’image du judo qui s’est développé avant et après guerre en France et en Europe grâce au maître japonais Mikinosuke Kawaishi, c’est un Coréen qui est venu évangéliser le pays.

« Le grand maître Kim Young-tae est arrivé en 1973. Il a enseigné le taekwondo à des élèves locaux et leur a demandé d’ouvrir des clubs. Eux-mêmes ont formé d’autres maîtres, et de fil en aiguille, ça s’est vraiment implanté. Puis, la Fédération a été créée par le général Gaston Ouassénan Koné », relate Emmanuella Ané. En 1979, la Côte d’Ivoire organise d’ailleurs le premier championnat d’Afrique des nations.

Très vite, les champions ivoiriens s’illustrent au plus haut niveau. Dès les deuxièmes championnats du monde, en 1975, le taekwondo ivoirien glane deux médailles de bronze, puis une en argent et une en bronze en 1977, avant d’en remporter à nouveau deux en bronze en 1979 et en 1983.

World Taekwondo GP FINAL Abidjan 2017 -80kg J.FERREIRA(POR) vs C.S.CISSE(CIV)
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Le climax est atteint en 1985 à Séoul lorsque les champions d’Afrique de l’Ouest gagnent quatre médailles dont une en argent et trois en bronze. « C’était exceptionnel pour un pays africain de remporter des médailles devant des nations comme la Corée du Sud. A la fin des années 1980, on a connu une période creuse. Nous avions alors un niveau moyen, mais un travail de l’ombre a permis à notre sport de revenir au premier plan depuis deux ou trois ans », se réjouit la vice-présidente.

L’avenir du taekwondo est en Afrique

Né à Bouaké, dans le centre de la Côte d’Ivoire, Cheick Cissé a été formé par l’un des disciples du Coréen Kim, le maître Christian Kragbe. « J’ai d’abord commencé par le karaté à l’âge de 4 ans à Bouaké. Puis, en 2000, mon père, instituteur, a été affecté à Abidjan. Il a voulu que je poursuive et il y avait un club de taekwondo à côté de mon école. Pour lui, c’était la même chose. Petit, il avait toujours rêvé de faire des arts martiaux, mais il n’avait pas pu. C’est lui qui m’a inculqué cela », se souvient le champion olympique.

Depuis quelques mois, Cheick Cissé est parti vivre à Majorque, où il s’entraîne. Celui qui pense déjà aux prochains Jeux olympiques de Tokyo, en 2020, a conscience de son rôle particulier : « Le titre olympique m’a beaucoup apporté. Et l’engouement est énorme en Côte d’Ivoire. Je suis devenu un ambassadeur du sport ivoirien. Le taekwondo a besoin d’encore plus de soutien pour continuer son développement. »

Fort de 35 000 licenciés, dont 25 % à 30 % de femmes, le taekwondo ivoirien n’est pas une incongruité en Afrique. D’autres pays, comme le Mali ou le Sénégal, parviennent également à obtenir des résultats à l’étranger. Championne olympique en 2012, la Franco-Canadienne Marlène Harnois, qui a soutenu et conseillé l’équipe ivoirienne lors des JO de Rio, expliquait dans un entretien à RFI qu’elle croyait au potentiel du continent : « Si, dans les années à venir, tous les facteurs de performance sont réunis, l’Afrique va vraiment devenir le continent numéro un sur la scène mondiale en taekwondo. »