Brexit : « Il a fallu plus d’un an pour parvenir à un accord sur les dossiers les moins compliqués »
Brexit : « Il a fallu plus d’un an pour parvenir à un accord sur les dossiers les moins compliqués »
Le Royaume-Uni et l’Union européenne sont arrivés à un compromis vendredi après plusieurs mois de négociations. Philippe Bernard, correspondant du « Monde » à Londres, a répondu à vos questions.
La première ministre britannique, Theresa May, le 8 décembre à Bruxelles. / EMMANUEL DUNAND / AFP
Après le compromis trouvé, vendredi 8 décembre, entre l’Union européenne et le Royaume-Uni sur le Brexit, le correspondant du Monde à Londres, Philippe Bernard, a répondu à vos questions.
Thomas : J’ai un peu de mal à comprendre ce que l’accord entend dans son paragraphe 49. Est-ce que cela veut dire qu’en l’absence de solution, le Royaume-Uni restera dans le marché intérieur ?
C’est la question du jour, la principale posée par l’accord de ce matin, qui est un modèle d’« ambiguïté constructive » chère à l’Union européenne (UE). Oui, formellement, cela veut dire que si le futur accord commercial entre le Royaume-Uni et l’UE ne permet pas de maintenir une Irlande sans frontière ou s’il n’y a pas d’accord du tout, le Royaume-Uni pourrait rester dans le marché unique et l’union douanière.
Theresa May a promis l’inverse des centaines de fois. Il s’agirait d’une volte-face totale et même d’un non-sens au regard du Brexit. Mais cela pourrait n’arriver que dans plusieurs années puisque cinq à sept ans peuvent être nécessaires pour négocier un accord commercial de cette ampleur.
Baptiste : Pourquoi le Brexit devrait coûter entre 40 et 45 milliards d’euros ? Quels sont ces coûts ?
Il s’agit notamment du règlement des programmes pluriannuels sur lesquels les Britanniques se sont engagés, des intérêts des prêts de la Banque européenne d’investissement, des retraites des fonctionnaires britanniques de l’UE.
Dans une ultime concession, Londres a dû accepter que les paiements puissent avoir lieu dans l’avenir au fur et à mesure que ce « reste à liquider » est dû et non en une seule fois maintenant. La conséquence est que ces paiements vont s’étaler pendant au moins une décennie, et que le montant précis est difficile à évaluer, ce qui arrange tout le monde.
Benjamin : Pas de frontière physique entre l’Irlande du Nord et la république d’Irlande, mais alors, que va t-il se passer ? S’achemine t-on vers un Brexit « very light » ?
La question irlandaise résume et concentre toutes les contradictions du Brexit : Theresa May a promis de quitter le marché unique européen alors que ce choix implique automatiquement le rétablissement de la frontière entre les deux Irlande, qui va devenir une frontière de l’UE. C’est la quadrature du cercle.
Comme l’équation est impossible à résoudre, l’accord en reporte la résolution aux calendes grecques. Il promet qu’il n’y aura pas de « frontière dure », ce qui suppose que l’Irlande du Nord, voire le Royaume-Uni, pratique les mêmes règles commerciales (TVA, etc.) et douanières que l’UE. Le texte plaît à Dublin car il exclut le retour à une frontière physique ; il plaît aux unionistes de Belfast car il exclut toute frontière maritime entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne. Mais les deux promesses sont incompatibles.
Paxwax : L’une des revendications de Bruxelles était que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) reste compétente au Royaume-Uni pour juger du sort des expatriés de l’UE. Il semble que Bruxelles ait cédé sur ce point. Est-ce le cas ?
Il y a eu en effet un compromis sur ce point, mais vu de Londres, c’est une reculade pour Mme May. Au nom de la souveraineté recouvrée, elle avait promis que les juridictions britanniques seraient les seules compétentes pour trancher le contentieux du droit au séjour des continentaux installés au Royaume-Uni (trois millions de personnes). Or l’accord franchit cette « ligne rouge ».
Il prévoit que les juges britanniques devront porter indéfiniment « une attention particulière » aux arrêts de la CJUE concernant les droits des Européens expatriés. Pendant une durée de huit ans, les tribunaux britanniques pourront aussi consulter la CJUE pour l’interprétation des lois européennes en la matière. « Pour les citoyens de l’UE, la CJUE restera compétente », a résumé vendredi matin Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne.
Devant le parlement britannique à Londres, le 8 décembre. / TOBY MELVILLE / REUTERS
Alexandre : Que risque politiquement Theresa May en cas de non-accord ou d’accord peu satisfaisant pour le Royaume-Uni ?
Dans l’immédiat, elle est « sauvée » politiquement car elle peut se prévaloir d’un succès arraché de haute lutte (la mise en scène de ces derniers jours y a contribué). Après consultation des vingt-sept autres Etats, le Conseil européen des 14 et 15 décembre va très probablement entériner l’accord de ce matin et accepter d’ouvrir les négociations commerciales avec le Royaume-Uni, ce qui est crucial pour Londres et en particulier pour la City.
Les couacs de l’accord, notamment les interprétations divergentes sur les nombreux points ambigus du texte, vont apparaître au fil du temps. Et le Parlement de Westminster exige de voter sur le canevas de l’accord commercial, probablement à l’automne 2018. Bien des aléas demeurent donc. Sans compter que selon un sondage, 50 % des Britanniques voudraient être consultés par référendum sur l’accord final !
Et alors : Quelles sont les premières réactions outre-Manche ?
La négociation avec Bruxelles a été tellement dramatisée ces derniers jours que l’accord provoque un soulagement général. Au sein de son gouvernement, Theresa May semble avoir réuni l’union sacrée alors que la bataille entre pro-Brexit et pro-Européens faisait rage ces dernières semaines. « Theresa May a gagné », s’est réjoui Michael Gove, ministre de l’environnement europhobe qui n’a pas cessé de lui savonner la planche.
Le ministre de l’économie, Philip Hammond, s’est félicité d’un « coup de pouce pour l’économie britannique » et la livre sterling est remontée au niveau le plus élevé depuis six mois. Seule ombre au tableau pour Mme May, Nigel Farage, ex-leader du parti d’extrême droite UKIP, a estimé que l’accord permet au Royaume-Uni de passer à « l’étape suivante de l’humiliation » et a souligné le caractère « inacceptable » du maintien partiel de la compétence de la CJUE.
Quant au leader du Labour, Jeremy Corbyn, qui n’ose pas avouer ses convictions anti-européennes parce que les deux tiers de ses électeurs ont voté contre le Brexit, il cultive l’art du silence radio. Il est aujourd’hui à Genève pour prononcer un discours sur… la lutte contre l’évasion fiscale.