Dans un internat à Meudon (Hauts-de-Seine), le 11 septembre. / CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Quand elle repense à son parcours scolaire, Aline (son prénom a été modifié), 18 ans et depuis deux ans, déjà, en rupture de formation, a le sentiment que « tout s’est joué très tôt ». Très tôt, le sentiment d’être en échec : « Dès le CP, en fait », confie-t-elle. Très tôt, aussi, la certitude de ne pas être à sa place. « J’avais peu d’amis à l’école, pas d’adulte à qui dire mes difficultés, je me sentais seule… »

A l’entrée au collège, Aline se sent « perdue », « jamais au niveau » ; elle fait le choix de se faire oublier « au fond de la classe ». C’est en 4e qu’elle commence à « sécher » d’abord une heure de cours (« souvent la première, je ne voyais pas l’intérêt de me lever »), puis une matinée, jusqu’à enchaîner les journées enfermée chez elle. Elle passe pourtant en 3e mais n’obtient pas son brevet. « La honte… » On lui propose une orientation en seconde professionnelle. « J’ai eu le sentiment qu’on voulait me lancer dans la vie active, alors que je ne me sentais même pas une élève à part entière ! » Aline n’a jamais pris le chemin du lycée.

Comme elle, ils sont quelque 100 000 jeunes en France à sortir, chaque année, du système éducatif sans diplôme de fin d’études secondaires (CAP ou baccalauréat). Avec l’impact que l’on sait sur l’estime de soi mais aussi un risque important d’inactivité ou de chômage de longue durée. Reste que le taux de jeunes sortant sans diplôme a baissé de 3 points entre 2011 et 2015, a salué le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) en présentant, jeudi 7 décembre, un état des lieux de la recherche sur le sujet, avec plusieurs enquêtes et rapports publiés vendredi 8 décembre.

Une myriade d’indicateurs

Les bonnes nouvelles sur l’école sont suffisamment rares pour être saluées : « Depuis 2008, dans une logique de continuité enjambant les échéances électorales et dépassant les clivages partisans, la lutte contre le décrochage (...) a commencé à porter ses fruits en France, observe la sociologue Nathalie Mons, présidente du Cnesco. Le reflux concerne toutes les académies. »

Sous la droite, au début des années 2010, on estimait encore ces « perdus de vus » entre 140 000 et 180 000, voire plus. A la rentrée 2016, l’ex-ministre de l’éducation, Najat Vallaud-Belkacem, avait annoncé un passage « sous la barre symbolique » des 100 000 décrocheurs, fixant l’objectif de 80 000.

« Des marges de progrès sont encore possible », estime Pierre-Yves Bernard, du Centre de recherche en éducation de Nantes, auteur d’un des rapports publiés par le Cnesco. L’occasion pour cet universitaire de mettre en avant la complexité à définir et à estimer le décrochage qui recoupe une myriade d’indicateurs (éducation nationale, Insee, Eurostat, etc.) et une galaxie d’acteurs (école, jeunesse, emploi…).

Au-delà des chiffres, les chercheurs décrivent le décrochage comme une expérience « d’autant plus douloureuse qu’une norme de la scolarité complète s’est aujourd’hui quasi-imposée », relève M. Bernard. Dans ce processus, on trouve des « facteurs » à risque qu’Aline n’a pas nécessairement connus – elle admet avoir « une famille qui la soutient, moralement et financièrement » : un contexte territorial difficile et un milieu social défavorisé.

Le phénomène ne peut pas pour autant être réduit à des déterminismes socio-économiques. Les difficultés précoces d’apprentissage, le découragement, le désengagement et l’orientation contrainte pèsent aussi. Ces étapes qui ont jalonné le parcours de la jeune fille.

« Effet de pairs »

L’absentéisme scolaire lourd, considéré comme un premier pas vers le décrochage, est un autre de ces facteurs. En se fondant sur le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), deux chercheurs de l’université de Liège, Christian Monseur et Ariane Baye, ont répondu à la commande du Cnesco et livré de cet absentéisme un éclairage inédit dans leur rapport : 25 % des jeunes de 15 ans déclarent avoir séché certains cours, dans les deux semaines précédents les tests PISA. Et 11 % disent avoir volontairement manqué l’école durant une journée.

Ces chercheurs ont identifié un « effet de pairs » : un élève a près de 1,5 fois plus de risques de sécher si l’absentéisme est élevé dans le collège ou le lycée qu’il fréquente. Mais c’est leur mesure de l’« effet établissement » qui est particulièrement marquante. Et pour cause : le sentiment en France de se sentir à sa place dans son établissement est particulièrement bas. C’est même le plus faible comparativement aux vingt-cinq pays sur lesquels l’enquête a porté. Seuls 40 % des jeunes français déclarent une bonne intégration dans l’école, contre 73 % en moyenne dans l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Une mesure comparative qui n'apparaît pas dans les données ministérielles.

En guise de préconisations, le Cnesco appelle à développer la prévention. « Intervenir dès les premiers signes d’un possible décrochage, quand le jeune est encore dans l’établissement, est vital », défend Nathalie Mons. La jeune Aline a, elle, le sentiment d’être « totalement passée sous les radars ».