Le leader de la liste nationaliste « Pè a Corsica », Gilles Simeoni, fête sa victoire avant même les résultats officiels des élections territoriales, le 10 décembre 2017 à Bastia. / OLIVIER LABAN-MATTEI / MYOP POUR "LE MONDE"

Chef de file de la liste Pè a Corsica (« Pour la Corse »), Gilles Simeoni est la figure de proue du nationalisme corse. A 50 ans, cet avocat de formation, né le 20 avril 1967 à Bastia, devient, à l’issue des élections territoriales des 3 et 10 décembre, qu’il a largement remportées, le premier président de la collectivité territoriale unique dont sera dotée la Corse à partir du 1er janvier 2018, issue de la fusion de l’actuelle collectivité territoriale et des deux départements.

Il est lui-même le fils d’un des héros du nationalisme corse, Edmond Simeoni, celui qui en août 1975, à Aléria, avec son frère Max et une trentaine d’hommes armés de fusils de chasse, avait occupé une cave viticole d’un important chef d’entreprise pied-noir pour protester contre la chaptalisation des vins qui menace les petits producteurs. Le ministre de l’intérieur de l’époque, Michel Poniatowski, décide de donner l’assaut. Mille deux cents gendarmes et CRS sont mobilisés, avec le soutien de blindés et d’hélicoptères. Deux gendarmes sont tués et un occupant grièvement blessé. Toute la nuit s’ensuivent de violents affrontements à Bastia.

Cette action marque le début du nationalisme corse. L’Action régionaliste corse (ARC) fondée par Edmond Simeoni est dissoute, son chef de file, jugé par la Cour de sûreté de l’Etat, est condamné en 1976 à cinq ans de prison dont deux avec sursis. Il effectuera dix-huit mois de prison à la Santé. Le jeune Gilles, lui, apprend à vivre sous la menace des attentats, comme lorsque trois kilos d’explosif explosent devant le domicile de sa grand-mère, soufflant la cage d’escalier.

Chef de l’opposition municipale

Cette jeunesse marquée du sceau de l’engagement militant et de ses vicissitudes a pour beaucoup déterminé son implication dans le combat politique qui commence à Corte au sein de la Cunsulta di i studienti corsi. Mais aussi, certainement, son choix de devenir avocat après avoir obtenu une maîtrise de droit et un doctorat de sciences politiques. Bien que son rêve d’enfance eût été de devenir océanographe.

De l’océan, il a la couleur de ses yeux bleu gris, de son métier d’avocat l’éloquence et le sens de la formule. Avec une grande affaire : la défense d’Yvan Colonna, condamné au terme de trois procès au grand retentissement, entre 2007 et 2011, à la réclusion criminelle à perpétuité pour l’assassinat du préfet Claude Erignac, le 6 février 1998 à Ajaccio.

A la même époque, Gilles Simeoni se présente pour la première fois à une élection législative, en 2007, dans la 2e circonscription de la Haute-Corse, englobant le village de Lozzi dont est originaire sa famille. Un premier échec mais, un an plus tard, aux élections municipales de Bastia, la liste nationaliste qu’il conduit arrive en deuxième position au premier tour avec près de 15 % des voix et en remporte 25 % au second, ce qui fait de lui le chef de l’opposition.

Dès le début des années 2000, en effet, Gilles Simeoni a nourri la conviction que le soutien à la lutte armée n’avait plus sa place et porté un discours plus consensuel, pétri de valeurs humanistes, doublé d’une volonté d’ouverture en direction de personnalités issues du monde associatif et de la société civile. C’est avec cette forte conviction qu’il conduit la liste Femu a Corsica (« Faisons la Corse ») aux élections territoriales de mars 2010. Avec près de 26 % des suffrages au second tour, elle obtient onze élus à l’Assemblée de Corse.

Vague de succès électoraux

Son premier succès électoral intervient en mars 2014 lorsque, à 46 ans, il met fin à près d’un demi-siècle de règne du « clan » Zuccarelli à Bastia. En recueillant plus de 55 % des suffrages, il devient le premier maire nationaliste de la deuxième ville de Corse et capitale économique de l’île.

C’est le début de la vague de succès électoraux pour les nationalistes qui se poursuivra, en décembre 2015, avec la victoire remportée au second tour (35 % des suffrages exprimés) par la liste que conduit Gilles Simeoni après avoir fusionné entre les deux tours avec celle conduite par l’indépendantiste Jean-Guy Talamoni. Les nationalistes détiennent ainsi une majorité relative de 24 sièges sur 51 qui permet au premier de présider le conseil exécutif et au second de présider l’Assemblée de Corse. Cette poussée est confirmée aux élections législatives de juin puisque les nationalistes obtiennent trois sièges sur quatre à l’Assemblée nationale.

Cette fois, les deux hommes avaient décidé de faire liste commune dès le premier tour, bien que Gilles Simeoni ait un temps été tenté de présenter sa propre liste. Dans une tribune publiée dans Le Monde du 23 novembre, il disait vouloir « engager avec l’Etat un véritable dialogue, débouchant sur une solution politique » mais regrettait que, « six mois après l’accession à la présidence de la République d’Emmanuel Macron, (…) il n’y ait pas eu le moindre signe de novation ni d’ouverture dans le rapport de l’Etat à la Corse ».

Fort du succès remporté par la liste nationaliste et de sa majorité absolue, Gilles Simeoni entend pouvoir obtenir pour la Corse un statut d’autonomie de plein droit, qui inclue l’exercice d’un pouvoir législatif. « Tamanta strada », se plaît-il à répéter (« Que la route est longue »). Il a déjà parcouru une bonne partie du chemin.