La façade de l’ancien restaurant Jo Goldenberg, à Paris, le 18 janvier 2010. / JACQUES DEMARTHON / AFP

Un ex-chef des renseignements français a été interrogé en janvier par la justice après des déclarations de sa part sur le « marché non écrit » qu’il aurait noué avec le groupe palestinien auteur présumé de l’attentat de la rue des Rosiers. Le 9 août 1982, six personnes avaient été tuées et vingt-deux blessées lors de cette attaque perpétrée à la grenade et aux pistolets-mitrailleurs contre le restaurant Jo Goldenberg, dans le quartier juif historique de la capitale.

Selon des sources proches du dossier citées par l’Agence France-Presse (AFP) qui confirment une information du Parisien, l’ancien patron de la Direction de la surveillance du territoire (DST) a été interrogé le 30 janvier par le juge d’instruction à la demande des parties civiles. Yves Bonnet, 83 ans, avait déclaré dans le documentaire « Histoire secrète de l’antiterrorisme », diffusé en novembre 2018 sur France 2, avoir envoyé ses hommes négocier avec des émissaires d’Abou Nidal, chef du groupe Fatah-Conseil révolutionnaire (Fatah-CR), une faction dissidente de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à laquelle l’attentat a été attribué. Trente-sept ans après l’attentat, les auteurs n’ont pas été jugés.

Yves Bonnet assume

Selon M. Bonnet, l’accord prévoyait que le groupe s’engage à ne plus commettre d’attaque en France, en échange de quoi ses membres pourraient continuer à se rendre dans le pays sans être inquiétés. Le haut fonctionnaire retraité ne donne pas l’identité des terroristes vus par ses collaborateurs, mais il affirme qu’il ne s’agissait pas des tueurs de la rue des Rosiers.

« Et ça a marché, il n’y a plus eu d’attentats à partir de fin 83, en 84 et jusqu’à fin 1985 », se satisfait, selon Le Parisien, Yves Bonnet en audition, qui réfute le terme de « collaboration » et préfère celui de « non-agression ». Contacté par le quotidien, Yves Bonnet assume ce pacte, destiné selon lui à « assurer la sécurité des Français ».

L’existence d’un tel accord avec l’organisation d’Abou Nidal, mort en 2002 en Irak dans des conditions suspectes, ainsi que l’infiltration du groupe dans la foulée par un agent français avaient été dévoilées en 2011 dans les carnets du général Philippe Rondot, figure des renseignements, qui ont fourni la trame du film L’Infiltré.

« Une part de fantasme »

« Si tout ça est avéré, c’est terrifiant d’avoir négocié ainsi avec l’un des pires terroristes de l’époque », a réagi auprès de l’AFP Me Alain Jakubowicz, l’ancien président de la Licra, partie civile au dossier. Il reste toutefois prudent sur « cette histoire de pacte, oral, sans trace, dont on entend parler depuis des années », qui nourrit aussi « une part de fantasme. J’observe que, contrairement à cet éventuel pacte, la justice française a pu faire son travail : on a identifié les membres du commando, on les a localisés, émis des mandats d’arrêt », a-t-il ajouté. « Si ces gens ne sont pas jugés, ce n’est pas, du moins en apparence, à cause de ce pacte mais faute d’obtenir leur extradition. »

La justice jordanienne a en effet rejeté la demande d’extradition de ses deux ressortissants d’origine palestinienne, Souhair Mouhamed Hassan Khalid Al-Abassi, alias « Amjad Atta », présenté comme le cerveau de cette attaque, et Nizar Tawfiq Mussa Hamada, membre présumé du commando. La justice française recherche aussi Mahmoud Khader Abed Adra, alias « Hicham Harb », qui vit aujourd’hui en Cisjordanie, et Walid Abdulrahman Abou Zayed, alias « Souhail Othman », qui vit en Norvège, pays qui refuse d’extrader ses ressortissants. Or, la justice française accuse ce dernier d’avoir obtenu la nationalité norvégienne sous une fausse identité et demande qu’il en soit déchu.

Demande de levée du secret-défense

Selon Le Parisien, « le magistrat instructeur a également convoqué, les 6 et 14 février derniers, Jean-François Clair et Louis Caprioli, deux ex-responsables de la lutte antiterroriste à la DST ». « Mais tous deux se sont réfugiés derrière “le secret-défense” concernant l’accord », ajoute le quotidien.

Des proches des victimes entendent demander la levée du secret-défense, ont-elles indiqué vendredi lors d’une commémoration organisée pour la deuxième année consécutive sur les lieux de l’attaque par l’Association française des victimes du terrorisme (AFVT). Elles ont aussi réitéré leur appel aux autorités françaises à se mobiliser pour obtenir l’extradition des suspects.