Les Trans Musicales de Rennes saluent la diversité d’une « sono mondiale »
Les Trans Musicales de Rennes saluent la diversité d’une « sono mondiale »
Par Stéphane Davet (Rennes (Ille-et-Vilaine)
Trente-quatre nationalités étaient représentées lors d’une centaine de concerts.
Des spectateurs lors d’un des nombreux concerts proposés dans le cadre des 39es Trans Musicales de Rennes, le 7 décembre 2017. / LOÏC VENANCE/AFP
Plutôt que de rendre hommage à Johnny Hallyday, Jean-Louis Brossard, directeur artistique des Trans Musicales de Rennes, a choisi de dédier la 39e édition du festival à Marc-Antoine Moreau. Mort le 5 décembre, victime d’une crise de paludisme, cet aventurier français de la production musicale n’avait cessé, depuis les années 1990, de prospecter le continent africain, en quête de talents singuliers à enregistrer ou manager, qu’il s’agisse, par exemple, des Maliens d’Amadou et Mariam ou de Songhoy Blues, du Marocain Hamid El Gnawi, des Congolais Jupiter & Okwess ou du collectif African Express activé avec son complice, le chanteur anglais Damon Albarn.
La figure « transfrontalière » de « Marco » s’accordait parfaitement avec un événement, originellement rock, qui, du 6 au 10 décembre, a confirmé avec succès son goût de plus en plus prononcé pour l’éclatement géographique et la diversité d’une « sono mondiale », jadis rêvée par des pionniers comme Jean-François Bizot ou Philippe Constantin.
34 nationalités (dont 21 extra-européennes) étaient ainsi représentées lors de la centaine de concerts donnés cette année devant 62 000 participants, parmi lesquels 34 000 spectateurs (1 000 de plus qu’en 2016) réunis dans les quatre halls du Parc Expo, qui, depuis 2004, accueille, sur la commune de Bruz, l’essentiel du festival.
Une infinie variété de surprises
Une effervescence bariolée renforcée par la volonté assumée, depuis de longues années, d’éliminer le concept de têtes d’affiche de la programmation du festival. En se libérant des vedettes, Jean-Louis Brossard s’éloigne aussi des pôles anglo-américains de l’industrie musicale. Encore trop confidentiels pour rassembler autour de leurs chansons, les artistes doivent d’abord se distinguer par une singularité qui prend souvent sa source dans le dépaysement et les métissages.
Hormis l’espace Greenroom, où dans un ambiance de club techno, les festivaliers savent que les DJ programmés déclineront, à quelques nuances près, les beats robotiques de l’électro, le reste des scènes agence une infinie variété de surprises. Quitte à parfois transformer le Parc Expo en cabinet de curiosités. Les Trans ont ainsi souvent eu un faible pour l’excentricité instrumentale.
On se souvient, par exemple, du « phin » (une guitare à trois cordes, en forme de poire) des Thaïlandais du Khun Narin Electric Phin Band, en 2015, de la cornemuse « torupill » (un instrument estonien fabriqué à partir d’un estomac de phoque) du groupe Trad Attack, en 2016, voire de la flûte-carotte ou du tambour-citrouille de The Vienna Vegetable Orchestra, en 2007… Vendredi 8 décembre, on croisait pour la première fois un « tonkori », imposant instrument à cordes rappelant une cithare, joué par le leader moustachu d’Oki Dub Ainu Band, dont la langue âpre et chamanique chante les traditions aïnoues, une communauté indigène du nord du Japon. Le costume du musicien est aussi vénérable que son instrument, mais une basse, une batterie et un clavier contemporains marient aussi des pointes de reggae et de krautrock à ces harmonies ancestrales.
Des voyages fantasmés
Plus que des sons identitaires, la programmation internationale du festival rennais révèle des croisements autant provoqués par la réalité des migrations que par des voyages fantasmés. Le groove de Gili Yalo, aussi chamarré que ses vestes et chemises, raconte comment cet Ethiopien a quitté son pays natal, à l’âge de 4 ans, pour rejoindre Israël avec ses parents. Entouré d’agiles musiciens soul et pop israéliens, ce souriant ambianceur, chantant en amharique, hébreux et anglais, se souvient aussi de Mahmoud Ahmed et Mulatu Astatke, époustouflants maîtres du funk et du jazz éthiopiens.
La façon dont, de son côté, le trio suisse Mister Milano, programmé dans la petite salle – tout juste trentenaire – de l’Ubu, se réapproprie la pop italienne des années 1970 et 1980, doit autant aux origines latines du chanteur qu’à leur fascination pour une imagerie « rital » balançant entre kitsch et intensité dramatique. L’un comme l’autre étant amplifiés par des synthétiseurs passant de la ritournelle romantique à la noirceur de boucles hypnotiques.
Mister Milano - Zecchino d'Oro
Durée : 06:13
Difficile, pareillement, de faire le tri entre authenticité et fantaisie vintage dans la réjouissante sensualité des chansons d’Altin Gün. On aurait envie de décrire ce sextet comme un groupe turc fasciné par le répertoire psychédélique national. Sauf que ce sextet a été fondé par des Néerlandais (musiciens de Jungle By Night ou Jacco Gardner), fans du rock anatolien des années 1970. Après avoir engagé deux véritables Turcs, la chanteuse Merve Dasdemir et le chanteur et joueur de « saz » (un luth anatolien, ici électrifié), Erdinc Yildiz Ecevit, les voici reprenant des classiques d’époque (d’Erkin Koray, Selda Bagcan, Baris Manço…) ou se créant leurs propres compositions, dont les circonvolutions orientales entremêlées de rock millésimé provoquent d’irrésistibles envies de danse. Enthousiasmée par la révélation de ces trésors psyché du Bosphore et l’efficacité du groupe, la foule des Trans fait un triomphe à Altin Gün.
Altın Gün - Kırşehir'in Gülleri
Durée : 03:20
Une électro-pop survitaminée
Un pareil succès peut faire rêver de lendemains qui chantent, mais attention de ne pas se laisser griser par les ambiances rennaises. Combien, parmi ces dizaines de groupes jusque-là inconnus, rejoueront dans d’aussi bonnes conditions techniques, devant un public aussi bienveillant – éduqué par des années de programmations placées sous le signe de la créolisation des cultures – et nombreux ? Peu.
Parmi ceux qui ne devraient pas en rester là, après l’accueil enthousiaste des Trans 2017, Tshegue a marqué par l’intensité des incantations d’une chanteuse congolaise, Faty Sy Savanet, autant nourrie de punk que de rumba, et la rudesse primitive du blues-rock de son complice Nicolas « Dakou » Dacunha. La puissance et l’originalité de cette fusion promettent beaucoup.
TSHEGUE - Tshegue
Durée : 03:32
De même, comment croire que le joli délire provoqué, dans un hall 9 (la plus grande salle du festival) bondé, par l’électro pop survitaminée des Australiens de Confidence Man n’aura pas de suite ? Mené par une fille en short et un garçon torse nu et en caleçon, dont les chants sexy et les chorégraphies loufoques sont accompagnés par un clavier et un batteur aux visages cachés de tulle noir, ce groupe devant autant à la pop aguicheuse de Kylie Minogue qu’aux boucles radicales de LCD Sound System, a rappelé, sous la pluie glacée rennaise, que l’été commençait « down under ».
Confidence Man - Better Sit Down Boy
Durée : 03:25
Trans Musicales de Rennes, du 6 au 10 décembre. www.lestrans.com