La « responsabilité pénale » d’Urvoas est susceptible d’être engagée dans une enquête visant Solère
La « responsabilité pénale » d’Urvoas est susceptible d’être engagée dans une enquête visant Solère
Par Simon Piel
D’après « Le Canard enchaîné », l’ancien ministre de la justice a fourni une note confidentielle à l’élu des Hauts-de-Seine durant l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle.
Jean-Jacques Urvoas en 2016 à l’Elysée. | STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
Thierry Solère, député des Hauts-de-Seine rallié à la République en marche (LRM) et ancien questeur de l’Assemblée nationale, va pouvoir bien préparer sa défense dans l’enquête préliminaire – et donc normalement secrète – qui le vise pour fraude fiscale, blanchiment, corruption, trafic d’influence et recel d’abus de biens sociaux. Alors même qu’il n’a toujours pas été entendu par les policiers, il connaît déjà bon nombre de détails des possibles infractions qu’on lui reproche.
Et cela, comme l’a révélé mercredi 13 décembre Le Canard enchaîné, grâce à l’ancien ministre de la justice, Jean-Jacques Urvoas. Ce dernier aurait profité des pouvoirs liés à sa fonction entre les deux tours de la présidentielle pour demander une synthèse de l’enquête à la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) avant de la transmettre à M. Solère.
Les deux hommes avaient pourtant pris des précautions en communiquant par la messagerie cryptée Telegram, raconte l’hebdomadaire satirique. Mais Thierry Solère n’a pas jugé bon effacer le message transmis par M. Urvoas et les policiers de l’office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCLIFF) sont tombés dessus à l’occasion d’une perquisition à son domicile à la fin du mois de juin.
C’est fâcheux pour M. Urvoas qui pourrait être poursuivi devant la Cour de justice de la République en tant qu’ancien ministre pour violation du secret professionnel, voire entrave à l’exercice de la justice. La décision dépend de la Cour de cassation à qui l’épineuse question a été transmise.
Eventuel parcours ministériel
A l’époque, Thierry Solère pressent – à tort – qu’il va intégrer le gouvernement, au titre notamment de sa proximité avec le premier ministre, Edouard Philippe. Afin de s’assurer que l’enquête préliminaire conduite par le parquet de Nanterre depuis le 6 septembre 2016 ne viendra pas contrarier un éventuel parcours ministériel, il en parle à M. Urvoas, alors ministre de la justice sur le départ.
Selon Le Canard enchaîné, c’est donc à sa demande que le socialiste serait allé sonder ses services pour en savoir plus. Le parquet de Nanterre étant tenu de rendre compte au parquet général de Versailles, lui-même contraint de faire remonter l’information à la DACG. Pour justifier de l’immédiateté attendue de la réponse, la DACG précise qu’il s’agit d’une demande du cabinet. La note atterrit finalement, faute comprise et quasiment sans délai, dans le bureau du ministre.
Ce mercredi, dans un communiqué, le parquet de Nanterre a confirmé que des éléments « susceptibles d’engager la responsabilité pénale de Jean-Jacques Urvoas » avaient été trouvés en perquisition puis transmis le 5 décembre au procureur général près la Cour de cassation.
Interrogé par le Canard Enchaîné, les avocats de Thierry Solère ont assuré que la note ne contenait rien de plus que ce que la presse avait déjà révélé. Contacté par Le Monde, M. Solère n’a pas souhaité ajouter de commentaires. De son côté, Jean-Jacques Urvoas n’a pas donné suite aux sollicitations du Monde.
Correspondance amicale
Quelques jours après que le Conseil constitutionnel a décidé d’en valider à nouveau le principe, cette affaire pose une fois de plus la question de la pertinence de la subordination du parquet au garde des Sceaux. Elle révèle par ailleurs, que la remontée d’information vers le cabinet du ministre dans les affaires politico-financières reste d’actualité.
Au cours de l’exploitation du téléphone de Thierry Solère, les policiers ont aussi découvert qu’il entretenait une correspondance amicale avec Roger le Loire, ancien doyen des juges d’instruction au tribunal de grande instance de Paris, aujourd’hui juge d’instruction à Nanterre. Au cours de leurs échanges, le magistrat se renseignait sur une possible investiture LR qu’il voulait briguer dans la perspective des législatives. Une information démentie à l’époque par les deux intéressés. Sollicité, M. le Loire n’a pas donné suite.
D’autres échanges où il ne serait toutefois pas évoqué l’affaire de M. Solère, à laquelle M. Le Loire n’a alors de toute façon pas accès, ont justifié que ce volet soit transmis au parquet de Paris qui doit décider si cela justifie l’ouverture d’une enquête. Celui-ci a saisi la brigade de répression de la délinquance à la personne (BRDP) afin de déterminer si ces échanges sont susceptibles de revêtir une qualification pénale.
L’enquête initiale visant M. Solère suit son cours malgré tout. Outre un volet fiscal, dans lequel il est soupçonné d’avoir omis de déclarer une partie de ses revenus entre 2010 et 2013, les enquêteurs soupçonnent de possibles manquements dans sa déclaration d’intérêt faite à la Haute autorité sur la transparence de la vie publique (HATVP). Ils s’interrogent aussi sur des trafics d’influence dans le cadre des contrats noués par M. Solère avant et pendant son mandat de député auprès d’entreprises spécialisées dans le traitement de déchets.