Simon Gosselin

À la fin de l’interview, dans un café parisien, une jeune fille s’approche de Mathias Labelle : « C’est vous, dans Festen ? » Incrédulité du jeune comédien. Et la demoiselle, avant de filer : « Je voulais vous dire merci. » C’est peu dire que la présence du jeune acteur frappe dans l’adaptation par Cyril Teste du film de Thomas Vinterberg (1998), dans laquelle il joue Christian, fils aîné d’une famille bourgeoise danoise qui révèle, lors du dîner donné pour les 60 ans de son père, comment ce dernier les violait, lui et sa sœur jumelle.

Sur la scène des Ateliers Berthier, Mathias Labelle retrouve Cyril Teste, figure marquante de sa jeune carrière (il est né à Paris en 1989). Il a rencontré le metteur en scène à l’École nationale supérieure d’art dramatique de Montpellier, où, avec sa promotion, il avait formé le collectif d’acteurs La Carte blanche.

« Faim de l’énergie du groupe »

En 2013, Teste, à la tête d’un autre collectif, M × M, leur propose de créer Nobody, adaptation de Falk Richter présentée au Printemps des comédiens à Montpellier, puis accueillie trois semaines par le Monfort, avant de tourner pendant deux ans.

« Ce fut une chance incroyable, se souvient Mathias Labelle. Je fais partie d’une génération qui a faim de ça. De l’énergie du groupe, de la confiance et de la bienveillance qu’on peut y trouver. » En disant cela, Mathias Labelle pense aux Tg STAN, aux Chiens de Navarre ou encore au travail de Philippe Quesne, qu’il admire. C’est d’avantage la rencontre et la confrontation qui intéressent ce jeune comédien que l’envie d’un auteur ou d’un texte en particulier. « J’aime l’idée de travailler avec des gens différents, la mise en œuvre de forces en présence sur le plateau. »

Un état de corps qui passe par l’image

Quand Cyril Teste lui a proposé le rôle de Christian, Mathias Labelle a d’abord revu le film primé à Cannes et relu Hamlet, sous les auspices duquel Cyril Teste a conçu son Festen. Avant de se forcer à tout oublier pour travailler sur le sensoriel : « Je recherche un état de corps, qui passe pour moi par l’image. Par exemple, quand Christian entre dans le salon et se souvient de son enfance, j’essaie de retrouver mes sensations lorsque j’arrivais dans la maison de ma grand-mère : les couleurs, le carrelage et sa fraîcheur… »

« Festen » a été adapté aux Ateliers Berthier, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe / Simon Gosselin

L’image, pour lui comme pour les gens de sa génération, c’est aussi Internet. C’est par le biais de l’application PearlTrees que lui et ses camarades partagent photos, vidéos, textes, films, tableaux, qui peuvent servir de matériaux de recherche. Aussi le travail de Cyril Teste et son usage de la vidéo est-il de l’ordre de l’évidence pour Mathias Labelle. Bien plus, elle offre la possibilité de mettre en scène autrement.

« Dans Festen, la caméra fait l’effet d’une loupe. Elle vient filmer le hors champ du théâtre et ce qu’il ne peut pas montrer (les coulisses, un léger rictus…) avant de l’injecter dans le temps du théâtre. En mêlant les deux, on vient augmenter la narration, ou, plutôt, le potentiel de narration. » « Festen, c’est le théâtre qui invite le cinéma à sa table », dit Cyril Teste. Avec Mathias Labelle, en acteur augmenté.

« Festen », de Thomas Vinterberg et Mogens Rukov. Mise en scène Cyril Teste. Théâtre de l’Odéon, Ateliers Berthier, 1, rue André-Suares, Paris 17e. Jusqu’au 22 décembre, puis en tournée.