C’est sous une pluie fine et gelée que François Graner et des représentants de l’association Survie franchissent, d’un pas décidé, les portes de l’Institut François-Mitterrand, mercredi 13 décembre au matin. L’accueil du personnel est à l’image de la météo : glacial.

Le chercheur et les militants de Survie, inlassables pourfendeurs d’une Françafrique perçue comme le deus ex machina des affaires du continent, étaient venus remettre symboliquement une clé d’un mètre de long à Dominique Bertinotti, mandataire des archives du président Mitterrand. Il s’agissait de l’inviter à « ouvrir enfin le second verrou » des documents élyséens concernant le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994. Après avoir écouté les revendications de François Graner, l’employé de l’Institut a refusé de réceptionner la clé que le chercheur a décidé de laisser sur le palier. « Nous avons choisi d’apporter cette clé ici, à l’Institut François-Mitterrand, pour illustrer comment les autorités françaises et tous les gardiens des secrets de la Mitterrandie maintiennent une chape de plomb sur la complicité française dans le génocide des Tutsi du Rwanda », explique Fabrice Tarrit, coprésident de l’association Survie.

Cette action symbolique intervient dans un contexte de regain des tensions entre Paris et Kigali à l’occasion de la réouverture du dossier, en 2016, par le juge Jean-Marc Herbaut. En réponse, l’Organe national rwandais de poursuite judiciaire a lancé, en novembre de la même année, une enquête sur la responsabilité de vingt militaires français dans le génocide des Tutsi. Kigali avait demandé l’aide de la justice française, refusée, pour procéder à des auditions. Dernier rebondissement en mars, Jean-Marc Herbaut auditionne James Munyandinda, un nouveau témoin, qui accuse le président rwandais Paul Kagamé d’être le commanditaire de l’attentat. Le juge ordonne alors une confrontation entre ce dernier et deux responsables rwandais les 14 et 15 décembre, à Paris. Mais Kigali dénonce une « manipulation française », balayant d’un revers de main l’ordonnance du juge.

« Mon droit de citoyen à m’informer »

Le chercheur François Graner se bat pour faire sauter la digue politique qui empêche le travail des historiens et conteste à ce titre la loi française qui permet à Mme Bertinotti d’autoriser ou de refuser l’accès aux archives présidentielles. Les documents en question sont régis par le Code du patrimoine et par le protocole signé entre François Mitterrand et les Archives nationales, ils ne sont consultables que sur dérogation de la gestionnaire. Et cela, même si les archives ont été déclassifiées par les ministres de la défense en novembre 2015 et des affaires étrangères en 2016. « J’ai fait la demande aux Archives nationales pour les consulter, elles étaient très favorables à ma requête, mais elles ont l’obligation d’en demander l’autorisation à Mme Bertinotti, raconte François Graner, elle a dit non sur certains dossiers et oui sur d’autres, de manière arbitraire, sans justifier sa décision, car elle n’a même pas à le faire ! » « C’est « un coffre-fort à double serrure, renchérit le chercheur. Le premier verrou militaire du secret-défense a sauté grâce à la déclassification, mais pas celui de la présidence. Le Conseil constitutionnel a jugé cette loi conforme à la Constitution en septembre, au lieu de répondre sur le point juridique, ils ont répondu de façon politique en protégeant le secret des gouvernants ».

Après avoir épuisé tous les recours juridiques français, François Graner a décidé de saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) : « J’ai fait toutes les étapes : Archives nationales, Commission d’accès aux documents administratifs, tribunal administratif, Conseil d’Etat, Conseil constitutionnel et donc maintenant je vais devant la CEDH en argant que cette loi est contraire à la Convention européenne et qu’elle m’empêche d’exercer mon droit de citoyen à m’informer », annonce François Graner, assurant que sa requête pour la CEDH partira jeudi.