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Pour un adolescent, acheter dans un bureau de tabac un ticket réservé aux adultes est un jeu d’enfant. La loi n’est absolument pas respectée. C’est ce qui ressort des campagnes de test effectuées par la Française des jeux, dont les résultats sont dévoilés dans un rapport parlementaire publié jeudi 14 décembre. Des chiffres si alarmants que la direction de l’entreprise publique appelle aujourd’hui l’Etat à intervenir.

La Française des jeux, connue pour le Loto, l’Euromillions, Illiko, etc., réalise régulièrement des opérations de « testing » chez ses détaillants. Quelques centaines de points de vente sont mis à l’épreuve chaque année. Des adolescents de 16 ou 17 ans tentent d’acheter un jeu d’argent, ou de parier sur un résultat sportif, sous la surveillance discrète d’inspecteurs de l’entreprise. Le bilan est éloquent. En 2016, le taux de ­conformité n’atteignait guère plus de 22 %, souligne le rapport des députés Olga Givernet (LRM) et Régis Juanico (PS). « Autrement dit, 78 % des points de vente ne respectaient pas l’interdiction de vente aux mineurs. »

Les actions prises au printemps ont, semble-t-il, permis d’améliorer la situation, puisque « le taux de conformité atteint désormais 37 % », précisent les députés. Le score reste néanmoins problématique. En effet, près de deux détaillants sur trois ferment toujours les yeux. Face à un adolescent, ils font comme s’ils avaient affaire à un jeune adulte, et ne demandent pas de carte d’identité pour vérifier.

Interrogée, la Française des jeux minimise ces données. « Nos tests sont destinés à créer un échange avec le détaillant, à vocation pédagogique et de sensibilisation, affirme la direction. Les chiffres ne reflètent pas la réalité du refus de vente aux mineurs. » Philippe Coy, le tout nouveau président de la Confédération des buralistes, relativise lui aussi les résultats. « Les chiffres sont trop élevés, et on doit s’améliorer, c’est clair, admet ce buraliste de Lescar (Pyrénées-Atlantiques). Mais demander à des jeunes de 16 ou 17 ans d’aller acheter des jeux, c’est comme mettre un radar en bas d’une descente : c’est facile de choper tout le monde ! »

Prohibition connue

Les inspections classiques menées par les équipes de la Française des jeux à visage découvert sur l’ensemble des questions de « jeu responsable » donnent d’ailleurs de bien meilleurs ­résultats. Depuis le début de l’année, 90 % de ces contrôles inopinés se terminent de façon positive pour les buralistes, qui affichent les réglementations prévues, rendent bien les tickets aux consommateurs, etc.

Le problème se ­concentre sur la question des mineurs. En principe, les jeux d’argent leur sont interdits depuis un décret de 2007. En pratique, cet interdit n’est guère respecté. En 2014, près de 33 % des jeunes de 15 à 17 ans interrogés par l’Observatoire des jeux déclaraient avoir joué à un jeu d’argent ou de hasard au cours de l’année. « L’interdiction semble, dans les faits, assez peu effective », concluait l’Observatoire. « L’interdiction du jeu aux mineurs n’est pas assurée », a confirmé la Cour des comptes en 2016.

Les détaillants n’ont pas très envie d’embêter leurs jeunes clients ni d’affronter leurs parents en bloquant la vente

La prohibition édictée en 2010 est certes connue par plus de 80 % des Français, selon un sondage ­effectué par OpinionWay en juin 2017. Mieux : 90 % des personnes interrogées affirment qu’il s’agit d’une bonne mesure. Mais de là à la respecter…

Globalement, les Français ne semblent en effet guère avoir pris conscience des dangers, des problèmes d’addiction qui justifient la loi. Plus de deux sur trois pensent qu’un mineur accompagné d’un adulte peut acheter un jeu d’argent. Bref, dans l’esprit général, le jeu des mineurs est sans doute interdit, mais il prête peu à conséquence, et reste tolérable.

Quant aux détaillants, ils n’ont pas très envie d’embêter leurs jeunes clients ni d’affronter leurs parents en bloquant la vente. « Cela peut être parfois compliqué, souligne M. Coy. En novembre, un cafetier des Ardennes qui avait refusé de valider le ticket de PMU d’un enfant a été tabassé par son père… »

Situation « insatisfaisante »

Consciente du problème, Stéphane Pallez, la présidente de la Française des jeux, s’est décidée à lancer un plan spécifique, en mars 2017. Au programme, notamment, de nouvelles affiches « − 18 ans ? Zéro jeu d’argent » apposées dans les points de vente, la formation de 30 000 détaillants en trois ans, et surtout une arme financière.

Depuis le printemps, tout distributeur pris en faute pour avoir vendu des jeux à des mineurs perd tout le bonus « jeu responsable » qu’il avait pu toucher dans l’année, ce qui ampute d’environ 4 % la rémunération reçue de la Française des jeux.

Malgré ces actions, la situation est « insatisfaisante », ­reconnaît la Française des jeux. Sa présidente lance donc un appel à l’Etat, qui pourrait agir à deux niveaux. D’une part, en lançant une « grande campagne de communication » sur le sujet. « Il y en a contre la drogue, l’alcool, le tabac, pourquoi pas contre le jeu des mineurs ? », lancent les buralistes. D’autre part, en « aidant les opérateurs et les détaillants dans leurs efforts, ce qui peut passer par un renforcement de la loi », plaide Mme Pallez.

Elle souhaiterait que, comme pour l’alcool et le tabac, les détaillants aient l’obligation d’exiger une pièce d’identité en cas de doute sur l’âge du client. En s’appuyant sur une loi plus stricte, les buralistes pourraient se montrer plus fermes. C’est également la solution que préconisent les députés. En mars, une précédente mission parlementaire avait suggéré que tous les joueurs pré­sentent un document d’identité à un scanner avant de jouer au PMU, au Loto, etc.

Devant l’hostilité affichée à la fois par les buralistes et les joueurs, les députés admettent que cette proposition « était peut-être trop audacieuse ». Au gouvernement de dire désormais si le nouveau projet est plus acceptable à ses yeux.