Habitat : un nouvel outil antispéculatif arrive
Habitat : un nouvel outil antispéculatif arrive
Par Isabelle Rey-Lefebvre
Les premiers baux réels solidaires pour aider à l’accession à la propriété sont signés à Lille, lundi.
Le bail réel solidaire, nouvel outil antispéculatif au service de l’accession à la propriété, voit le jour en France, lundi 18 décembre, à Lille, grâce à l’organisme foncier solidaire (OFS) de la métropole, créé en février. Quinze familles modestes vont acquérir, auprès du promoteur Finapar, des logements neufs à construire au prix imbattable de 2 100 euros le mètre carré, deux fois moins que le prix du marché dans ce quartier très central, sur le site de l’ancienne faculté de pharmacie, à deux pas de Sciences Po et du théâtre.
« Notre objectif est de permettre à des familles modestes de devenir propriétaires dans Lille et d’y rester », explique Audrey Linkenheld, conseillère municipale (PS) déléguée à la mixité et à l’innovation sociale, instigatrice de ce nouvel outil créé par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) de 2014 et ses décrets de mai 2017. Le bail réel solidaire le permet car il dissocie le terrain, acheté par un organisme foncier solidaire qui le finance à très long terme – ici, 60 ans mais jusqu’à 99 ans si besoin – grâce à des prêts de la Caisse des dépôts. L’acquéreur n’acquiert que le bâtiment, au coût de construction, et loue, à long terme (30 ou 40 ans) le terrain à l’OFS pour une redevance faible : 1 euro par mètre carré et par mois.
Là où ce montage se révèle antispéculatif, c’est que les propriétaires peuvent, évidemment, revendre le logement mais pas à n’importe quel prix ni à n’importe qui. Il s’agit du prix d’achat initial revalorisé selon une formule inscrite au contrat, tenant compte de l’inflation, d’éventuels travaux réalisés par l’occupant et, dans une faible mesure, des prix du voisinage. La plus-value est donc bien moindre que dans les conditions habituelles du marché. Le nouvel acquéreur doit, lui, répondre aux mêmes conditions de ressources que son vendeur et faire du logement sa résidence principale. Quant au bail pour le terrain, il repart pour la même durée, au même prix.
« Zone tendue »
Lille compte lancer, à quelques pas de là, une deuxième opération de 15 logements, puis une troisième sur le terrain de l’ex-gare Saint-Sauveur. « Nous comptons déjà 200 candidats en liste d’attente, mais nous prendrons le temps d’évaluer les premiers programmes », confie Mme Linkenheld.
Beaucoup de maires pratiquent déjà l’accession à prix maîtrisé mais elle ne fonctionne qu’une fois puisque le premier propriétaire, qui a bénéficié de l’aubaine, revendra au prix du marché, inabordable pour les ménages modestes. La ville aura alors investi à fonds perdu, comme c’est arrivé à Guéthary (Pyrénées-Atlantiques), près de Biarritz. Le maire y avait, en 2006, produit des logements en accession sociale à 152 000 euros, qui furent cédés, dix ans et trois mois plus tard, 400 000 euros et transformés en résidence secondaire : « La double peine, car ce qui était une résidence principale pour les gens du cru cesse de l’être, et la clause antispéculative de remboursement de l’aide publique en cas de cession dans un délai de dix ans était caduque », commente Imed Robbana, directeur général de la coopérative HLM Comité ouvrier du logement en Pays Basque qui a, en 2017, créé son organisme foncier solidaire.
« Pour tolérer les contraintes du bail réel solidaire, il faut un prix très attractif, et il l’est d’autant plus dans les zones tendues, où le terrain contribue pour une large part à la cherté de l’immobilier », analyse Vincent Lourier, directeur de la Fédération des coopératives HLM, à l’origine de la Coopérative foncière francilienne, première du genre en région parisienne. Agréée début décembre, elle a en vue trois opérations : dix logements au Kremlin-Bicêtre, neuf à Malakoff, quarante à Villejuif. Les terrains sont financés sur soixante ans, et au concept de bail réel solidaire s’ajoute celui d’habitat participatif conçu avec ses futurs occupants. « Contrairement à Lille, les collectivités locales subventionnent moins le terrain. La redevance pour le foncier à la charge des acquéreurs sera donc plus élevée, à environ 2,50 euros le mètre carré mensuel », détaille M. Lourier.
D’autres villes de la petite couronne sont intéressées, telles Gennevilliers, Bagneux, Ivry-sur-Seine… La coopérative Habitation familiale vient, elle, de créer son OFS à Saint-Malo. Et Rennes, qui consacre chaque année 5 millions d’euros à l’accession à prix maîtrisé, y songe. Paris a désigné un groupe d’experts pour évaluer la faisabilité d’un éventuel projet sur le terrain de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul, avec, là aussi, une dimension participative : son rapport est attendu en janvier.