Loi Neuwirth autorisant la pilule contraceptive : la houle des débats parlementaires de 1967
Loi Neuwirth autorisant la pilule contraceptive : la houle des débats parlementaires de 1967
Par Antoine Flandrin
Le député UDR Lucien Neuwirth a dû affronter l’hostilité de son camp politique, mais a finalement su convaincre le général de Gaulle et l’Assemblée nationale.
Le député Lucien Neuwirth s’exprime à l’Assemblée nationale le 11 mai 1973. / AFP
Il fallut un an pour convaincre le parlement d’adopter et de promulguer la loi Neuwirth autorisant la pilule contraceptive, le 28 décembre 1967. Engagé dans les Forces françaises libres au côté du général de Gaulle, Lucien Neuwirth (1924-2013) découvrit la pilule à Londres un soir de juin 1944 : une Anglaise avec laquelle il avait un rendez-vous amoureux lui glissa un contraceptif effervescent dans la main. Le jeune homme fut abasourdi : la « gynomine », contraceptif à usage unique, était en vente libre dans les parfumeries anglaises.
Siégeant à partir de 1947 à la commission des divorces et de l’aide sociale au conseil municipal de Saint-Etienne, Lucien Neuwirth réalise que de nombreux drames conjugaux sont causés par l’arrivée d’un enfant non désiré. Il se forge alors la conviction de la nécessaire abrogation de la loi de 1920 interdisant la diffusion et la « propagande » pour tous les moyens « anti-conceptionnels ». Membre de l’Union démocratique pour la Ve République (UDR), élu député de la Loire en 1958, il tente de promouvoir la contraception, mais se heurte à l’hostilité de son camp politique.
Gérer son patrimoine génétique
Des scientifiques et des médecins lui apportent toutefois leur soutien. Constatant que tant les partis politiques que les Eglises ont été incapables de protéger leurs semblables lors des deux guerres mondiales, ces savants considèrent qu’il revient désormais à l’homme de gérer son patrimoine génétique. De nombreuses femmes participeront au combat pour autoriser les méthodes contraceptives. Les manifestations se multiplient avec pour mot d’ordre :
« Un enfant, si je veux, quand je veux. »
En première ligne, la jeune gynécologue Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé rapporte un fait divers, dans une communication à l’Académie des sciences morales et politiques, en 1955 : une femme de 23 ans est condamnée à la prison pour avoir laissé mourir son quatrième enfant alors qu’elle était enceinte du cinquième. « Plutôt que d’aussi lamentables drames, ne faudrait-il pas mieux le birth control ? », conclut-elle.
Ces revendications trouvent un écho auprès de journalistes comme Jacques Derogy dans Libération, Françoise Giroud dans L’Express ou le docteur Claudine Escoffier Lambiotte dans Le Monde. Entre 1956 et 1967, pas moins de onze propositions de loi seront déposées par des formations de gauche pour modifier la loi de 1920. Lorsque François Mitterrand se prononce pour une nouvelle législation, pendant la campagne présidentielle de 1965, le général de Gaulle, fervent catholique, est d’abord choqué. « La pilule ? Jamais ! (…) Nous n’allons pas sacrifier la France à la bagatelle », aurait déclaré le président de la République.
Le gaulliste Lucien Neuwirth saura trouver les mots pour le convaincre. « Vous avez donné le droit de vote aux femmes. Donnez-leur maintenant le droit de maîtriser leur fécondité », lui dit-il. Le général de Gaulle observe un long silence, avant de lui répondre :
« C’est vrai, transmettre la vie, c’est important. Il faut que ce soit un acte lucide. Continuez ! ».
Feu de critiques
Le 18 mai 1966, Lucien Neuwirth dépose sa proposition de loi. Il essuie un feu de critiques. Sa fille, alors âgée de 13 ans, est chassée d’une école privée de Saint-Etienne sous la pression de parents s’opposant « à la présence dans l’établissement d’une enfant qui devait en savoir trop ». L’inscription « Salaud ! » est peinte sur la porte de son domicile. Le ministre de la justice, le gaulliste Jean Foyer le surnomme « Immaculée contraception », tandis qu’un sénateur suggère de le traduire devant la Haute Cour de justice.
Des partis politiques à l’Eglise catholique, des médecins aux médias, le débat passionne la France entière. L’examen en première lecture à l’Assemblée commence le 1er juillet 1967. Lucien Neuwirth défend ainsi :
« Le passage d’une fécondité forcée à une fécondité choisie se traduirait par une libération de la femme, une meilleure éducation des enfants et un plus grand équilibre de la société. »
Parmi les députés qui le soutiennent, l’idée que la pilule doit être un moyen de lutter contre l’avortement clandestin revient avec force. Jacqueline Thome-Patenotre, député radicale-socialiste (Yvelines), rappelle qu’en France, 300 000 avortements par an sont pratiqués dans la clandestinité. « Un Etat démocratique doit laisser aux citoyens le choix du moment où naîtront leurs enfants », déclare-t-elle. Le Dr Daniel Benoist, député SFIO (Nièvre), relève, pour sa part, l’hypocrisie des débats :
« Des médicaments contraceptifs sont en vente, 150 000 femmes sont inscrites au planning familial et des médecins, bravant la loi, pratiquent le contrôle des naissances. »
Le docteur Georges Vinson, député du Rhône, va plus loin :
« Tous les médecins vous le diront : lorsqu’une femme a décidé fermement d’interrompre sa grossesse, il y a peu de chances de la faire changer d’avis. Les plus fortunées vont encombrer les salles d’attente des commissions cantonales d’un pays voisin, les autres paient souvent de leur santé physique et morale un avortement pratiqué de mauvaises conditions. »
« Une flambée d’érotisme »
Les oppositions sont fortes. Le Dr Jacques Hébert, député UDR de la Manche, met ainsi en garde les parlementaires contre les effets nocifs que pourra avoir sur les générations futures l’usage des contraceptifs hormonaux. « Détruire la vie avant la fécondation, après la fécondation, avant la nidation, après la nidation, revient au même sur le plan de l’éthique. » Et d’ajouter :
« Une flambée d’érotisme, attisée par la propagande politique, celle de la majorité d’ailleurs comme de l’opposition, menace le pays. Pour nos pères la stérilité était une tare ; elle est en train de devenir une vertu ! »
A plusieurs reprises, les débats glissent sur le terrain de la morale. Les positions alarmistes des députés opposés à la loi reflètent surtout combien la contraception est alors un sujet tabou. Jean Coumaros (Moselle) juge « regrettable qu’un tel projet ne puisse être discuté à huis clos, comme aux assises quand il s’agit d’affaires de mœurs ». Selon le député, « les enfants ne sont pas toujours engendrés par la réflexion et par la raison, mais dans un élan d’amour irrésistible, comme l’exigent la nature et l’instinct de continuité de l’espèce humaine. » Avec la pilule, affirme M. Coumaros, « ces effusions périront dans le néant. Les maris ont-ils songé que désormais, c’est la femme qui détiendra le pouvoir absolu d’avoir ou de ne pas avoir d’enfants en absorbant la pilule, même à leur insu ? Les hommes perdront alors la fière conscience de leur virilité féconde et les femmes ne seront plus qu’un objet de volupté stérile. »
Le texte est adopté en deuxième lecture le 14 décembre 1967. Lucien Neuwirth doit encore guerroyer pour que les décrets d’application, longtemps restés bloqués sous la pression, notamment, de l’Eglise catholique et de ses représentants les plus actifs au sein du gouvernement, n’en dénaturent pas le sens. Il faudra attendre 1974 pour que la pilule soit véritablement libéralisée et remboursée par la Sécurité sociale.