Le député Paulo Maluf, au centre, le 20 décembre à Sao Paulo. / STRINGER / REUTERS

Il est arrivé appuyé sur une canne, « démoli » et fatigué par une chimiothérapie, pour se livrer aux policiers, vingt ans après les faits reprochés. Mercredi 20 décembre, Paulo Maluf, député de 86 ans, fiché par Interpol, en délicatesse avec la justice depuis 1983, devait purger une peine de sept ans et neuf mois de prison à la suite de l’injonction, la veille, d’un juge de la Cour suprême du Brésil réclamant son « emprisonnement immédiat ». Le vieil homme est accusé de « blanchiment d’argent », dans une affaire de détournement de fonds datant de l’époque où il était maire de Sao Paulo, entre 1993 et 1996.

Mais la liste de ses méfaits, dont la majeure partie est prescrite ou archivée, ne s’arrête pas là. Inculpé, selon les médias brésiliens, dans 188 pays – dont les Etats-Unis et la France –, Paulo Maluf est le symbole de la corruption et l’incarnation vivante de son pendant, l’impunité. Le roublard, montre en or vissée au poignet, a su, en près de cinquante ans d’une carrière politique débutée lors de la dictature militaire (1964-1985), naviguer avec les recours judiciaires, les astuces procédurières et la lenteur des juges, sous le regard désabusé des Brésiliens.

Membre du Parti populaire (PP, droite), Paulo Maluf, ancien maire et ex-gouverneur de l’Etat de Sao Paulo, a poussé le cynisme à ses extrêmes. Quand d’autres jurent sur la Bible leur honnêteté, il assume le slogan accolé à son nom « Rouba mas faz » (il vole mais il agit) et s’amuse du verbe malufar, passé dans le langage courant pour décrire une embrouille politique crapuleuse.

Pacte avec le diable

Fils d’industriels aisés de Sao Paulo, Paulo Maluf reçoit à ses dix-huit ans sa première voiture, une Jaguar. Son train de vie ira croissant avec son entrée en politique, dans les années 1960. Ses bonnes affaires coïncideront avec la multiplication des projets d’infrastructures stimulés par le régime militaire. Une folie bétonnière qui se traduira par la construction de viaducs, tunnels et autoroutes dans un Sao Paulo dédié à l’automobile.

Provocateur, Paulo Maluf dira aussi au détour d’une conférence en 1989 au sujet d’un violeur et assassin : « C’est bon. Il a un désir sexuel, qu’il viole, mais qu’il ne tue pas. » Tentant de se justifier par la suite, il expliquera qu’ôter la vie de quelqu’un est le pire des crimes.

A l’idéologie variable selon les époques, Paulo Maluf, a priori de droite, s’alliera pourtant en 2012 avec le Parti des travailleurs (PT, gauche) de l’ex-président, Luiz Inacio Lula da Silva, afin d’aider Fernando Haddad à rafler la mairie de Sao Paulo. La poignée de mains entre l’ancien guérillero, « père des pauvres », et cette figure de la corruption, sera assimilée pour une partie des militants à un pacte avec le diable.

Mi-incrédules mi-euphoriques, les Brésiliens saluaient mercredi sur Twitter à renfort d’images animées ce qui pourrait ressembler à une fin de partie pour l’octogénaire. « Le fait que la justice s’en prenne à une figure de la vieille garde politique jusqu’ici considérée comme intouchable pour des faits préalables à l’enquête anti-corruption LavaJato [“lavage express”] est symbolique. Cela montre qu’il y a une vraie révolution dans le pays », commente le politologue Mathias de Alencastro.

La course-poursuite entre la morale et le dinosaure de la politique n’est toutefois pas encore conclue. Les médias rappellent à propos que Paulo Maluf s’est déjà rendu à la justice en 2005 pour purger une peine qui s’est limitée à quarante et un jours.