Le patron de Thales, Patrice Caine, pose avec celui de Gemalto, Philippe Vallée, à Puteaux (ouest de Paris), le 18 décembre 2017, après le rachat du spécialiste de la carte à puce par le groupe d’électronique de défense. / BERTRAND GUAY / AFP

Les entreprises françaises ont de l’appétit. En 2017, les opérations de fusions-acquisitions impliquant des groupes français, à la vente ou à l’achat, ont totalisé près de 246 milliards de dollars (environ 204 milliards d’euros), selon les chiffres publiés vendredi 29 décembre par Thomson Reuters. Cela représente une hausse de 50 % par rapport à 2016.

« L’activité a été intense dans tous les secteurs, de l’immobilier au luxe, en passant par la distribution et l’industrie. C’est le signe d’un environnement macroéconomique très porteur », soulignent Arnaud Bouyer et Jean-Baptiste Charlet, coresponsables de la division banque d’affaires chez Morgan Stanley à Paris. « Le marché devrait rester soutenu en 2018 », pronostiquent-ils.

Les banquiers d’affaires assurent que le « pipe » est bien rempli. C’est ainsi qu’ils désignent le réservoir des projets discutés dans le plus grand secret et dont certains pourraient ou non voir le jour dans les prochains mois.

« Tant que perdurent des perspec­tives économiques robustes combinées à un coût d’emprunt raisonnable, l’activité devrait rester très dynamique, aussi bien pour les ­entreprises que pour les fonds ­d’investissements », estime Cyril de Mont-Marin, associé gérant chez Rothschild & Cie, en tête du palmarès des conseils M & A (Mergers & Acquisitions, fusions-acquisitions) pour la France, comme en 2016.

Dans un contexte où l’argent reste facile grâce aux politiques accommodantes des banques centrales et où les Bourses sont pleines d’allant, le marché mondial du M & A a dépassé les 3 000 milliards de dollars pour la quatrième année de suite.

Climat propice

En 2017, le montant total des transactions a atteint 3 500 milliards de dollars, en baisse de 1 %. Sachant que le mois de décembre a été marqué par une frénésie d’opérations, à l’image de l’accord conclu le 14 décembre par Rupert Murdoch pour céder les studios et les réseaux câblés de la 21st Century Fox à Disney pour 66 milliards de dollars.

Juste avant la trêve de Noël, le groupe d’électronique de défense Thales a annoncé le rachat du spécialiste de la carte à puce Gemalto, pour 4,8 milliards d’euros, tandis que le géant franco-néerlandais des centres commerciaux Unibail a dévoilé l’acquisition de son ­rival australien Westfield Corporation pour 21 milliards d’euros.

« En 2017, les champions tricolores se sont renforcés et sont partis à la conquête de nouveaux marchés. Les valorisations peuvent parfois paraître élevées, mais les acheteurs sont prêts à payer le prix car les cibles stratégiques – parce qu’elles offrent l’accès à un marché ou à une technologie, ou qu’elles donnent une taille critique – se comptent sur les doigts d’une main », constate Pierre Hudry, responsable de la banque d’affaires de Goldman Sachs à Paris.

Les rachats opérés à l’étranger par les Unibail, Altran et autres Total ont totalisé 118 milliards de dollars (+ 180 %), un record en volume d’opérations depuis 2007. A l’inverse, après le passage sous pavillon étranger ces dernières années des Lafarge, Alstom Power et Alcatel, « France SA » n’a eu à déplorer en 2017 qu’une seule « perte » – mais de taille – au champ d’honneur de la consolidation, celle du fabricant de TGV Alstom, désormais dans ­l’orbite de l’allemand Siemens.

Chacun connaît l’importance de la nationalité de l’actionnariat et de la localisation des centres de décision dans la vie des entreprises. Du mariage du cimentier Lafarge avec le suisse Holcim à celui du parapétrolier Technip avec l’américain FMC, les récentes grandes fusions se sont traduites par un repli de l’influence des intérêts français au sein de ces fleurons.

L’avenir dira quelles seront les conséquences du rapprochement entre le roi des verres Essilor et le fabricant de montures italien Luxottica. Le groupe français rachète son partenaire, mais l’Italien Leonardo Del Vecchio, le fondateur de Luxottica, deviendra le premier actionnaire du nouvel empire de la lunette, avec plus de 30 % du capital…

Le fait que cette opération, discutée depuis de nombreuses années, ait été conclue en 2017 illustre bien un climat propice aux fusions-acquisitions. D’autres serpents de mer ont ainsi fait surface l’an dernier, comme le rachat de l’équipementier aéronautique Zodiac par Safran.

« L’effet Macron »

« Un cercle vertueux semble s’être réinstallé. Avec l’argent bon marché et la reprise économique, nos clients s’enhardissent, car ils ont les moyens de leurs ambitions et sont plus confiants dans leur capacité à délivrer des plans d’affaires audacieux », témoigne Alexandre Courbon, chargé des fusions-acquisitions pour la France à la Société générale.

Pour expliquer l’élan retrouvé des grandes entreprises françaises, les banquiers d’affaires évoquent aussi l’« effet Macron ». « Après des années de “French bashing” [critique de la France], la tendance s’est inversée. Les investissements reviennent et les chefs d’entreprise profitent de ce regain de vitalité », note Patrick Maurel, président de Natixis Partners.

« La France abrite des industriels respectés dans le monde entier, un écosystème parmi les plus compétents en Europe concernant les fonds d’investissements. Avec le retour de la confiance que l’on observe depuis l’élection d’Emmanuel Macron, tous les ingrédients sont là pour que les acteurs français soient en bonne position pour saisir les opportunités », affirme Philippe Deneux, responsable de Mediobanca pour la France et le Benelux.

Il y en aurait presque de l’électricité dans l’air. Des batailles boursières ont permis à l’entreprise de services Elis et au numéro un européen de la location de matériels Loxam de s’emparer de ­concurrents britanniques. L’accord signé entre Thales et Gemalto fait suite à une offre non sollicitée émanant de la société informatique Atos sur le groupe franco-néerlandais.

« Beaucoup d’investisseurs activistes sont à la manœuvre et nous nous attendons à voir de plus en plus d’opérations contestées dans les mois qui viennent », observent Julien Fabre et Emmanuel Hasbanian, coresponsables de la banque d’affaires de Deutsche Bank en France. 2018, année de la testostérone dans les conseils d’administration ?