Coupe de France : à Schiltigheim, les mis au ban du football professionnel
Coupe de France : à Schiltigheim, les mis au ban du football professionnel
Par Corentin Lesueur (Schiltigheim, envoyé spécial)
Le club de la banlieue strasbourgeoise affronte Auxerre en 32e de finale de la Coupe de France, ce samedi.
Schiltigheim affronte Auxerre en 32e de finale de la Coupe de France, samedi 6 janvier. / ROMAN COLAS
Le coup d’envoi de la deuxième partie de saison de football par son immuable « week-end Coupe de France » charrie son lot de clichés largement surannés. Dans la banlieue de Strasbourg (Bas-Rhin), le Sporting Club de Schiltigheim, pensionnaire du quatrième échelon national (National 2), donne à voir un football amateur aux allures d’antichambre du monde professionnel.
Vainqueur de la Coupe de France en bout de piste, ex-espoir cabossé par les déboires financiers, jeunes sortis d’un centre de formation sans contrat : l’effectif « vert et blanc » est largement composé de joueurs passés par le « monde pro » ou aspirant encore à le rejoindre.
Avec la réception d’Auxerre (Ligue 2), samedi 6 janvier en 32e de finale de la Coupe de la France, les Alsaciens ont à cœur de s’affranchir définitivement de la frontière les séparant des « gros ». Rencontre avec quatre Schilikois à la croisée des mondes.
Guillaume Gauclin (gardien, 36 ans) : le taulier
« Le football n’est jamais un long fleuve tranquille. » Guillaume Gauclin, gardien du Sporting Club de Schiltigheim. / ROMAN COLAS
« Le football n’est jamais un long fleuve tranquille. Surtout pour les gardiens, un poste où les places coûtent très cher. On se doit d’être irréprochable, parfaitement prêt, physiquement et dans la tête, pour s’imposer dès qu’une occasion nous est donnée. Au début, on rejette la faute sur les autres, avant de s’interroger sur nos lacunes, le manque éventuel de maturité. On a toujours ce qu’on mérite. Au foot comme ailleurs.
Je n’ai connu ma première saison de titulaire qu’à 26 ans, à Guingamp. Au bout de trois matchs, le coach, sur la sellette, change ses plans. Je me retrouve à ne jouer que les coupes nationales. Une chance : c’est l’année où on remporte la Coupe de France, en 2009. Le plus beau moment de ma carrière, un truc de fou. Surtout dans une ville où tous les habitants nous connaissaient. Mais ça passe très vite, on n’a pas vraiment eu le temps d’en profiter.
Après quelques périodes de chômage, Schiltigheim était le bon endroit pour envisager sereinement l’après-carrière. J’ai donc repris mes études pour devenir agent immobilier. J’ai de la chance, je m’éclate dans ce boulot. Le plus dur pour un footballeur en fin de piste n’est pas de travailler, mais de trouver une activité qui lui donnera l’envie de se lever le matin. Le joueur est seul dans ces moments-là. Après vingt ans à ne penser qu’au ballon, il doit prendre conscience qu’il y a autre chose que le foot dans la vie et anticiper le jour d’après. »
Jean-Alain Fanchone (défenseur, 29 ans) : le globe-trotter
« Le football, c’est 80 % mental. » Jean-Alain Fanchone, défenseur du Sporting Club de Schiltigheim. / ROMAN COLAS
« Le football, c’est 80 % de mental. Sans cela, impossible de faire carrière. Au centre de formation de Strasbourg, tous les joueurs avaient un talent de malade. Mais ensuite tout se joue dans la tête, et souvent sur un coup de chance. Je dois ma première saison professionnelle au départ en retraite du titulaire à mon poste. En 2009, je fais une super année, récompensée par une nomination dans l’équipe-type de Ligue 2 [saison 2008-2009]. J’avais 20 ans. Mais la suite a été mouvementée.
J’ai connu six mois de chômage après la mise en liquidation judiciaire de Strasbourg [en 2011], avant de voir du pays. Udinese (Italie), Watford (Angleterre), Nîmes, puis la Roumanie. J’ai adoré le pays et le championnat, avant de connaître de nouvelles galères financières : nous avons passé plusieurs mois sans être payés. L’envie de retrouver le haut niveau ne m’a pas quitté. J’ai encore trois ou quatre années professionnelles dans les jambes. Je ne veux pas lâcher l’affaire.
Le match contre Auxerre n’est pas le plus important de ma carrière, mais c’est toujours un régal de s’offrir un beau parcours dans ce type de compétition. Je me souviens de chaque match de ma victoire en Coupe Gambardella [l’équivalent de la Coupe de France chez les jeunes] en 2006, avec Strasbourg. C’était un pur kif. »
Benjamin Genghini (milieu, 32 ans) : le poids de l’héritage
« Tout le monde disait que j’étais là grâce à mon père. » Benjamin Genghini, milieu du Sporting Club de Schiltigheim. / ROMAN COLAS
« À 15 ans, je n’imaginais pas que la vie de footballeur serait si dure. Quand tout se passe bien, vous ne savez plus où donner de la tête. Mais on devient très vite oublié dès que les apparitions sur le terrain se font plus rares. C’est le plus décevant dans ce sport tellement beau. On ne peut pas le comprendre sans connaître la grosse blessure. J’ai été victime d’une rupture du tendon d’Achille quand je jouais pour Strasbourg. Il m’a fallu plus d’un an pour remettre. Après, ce n’était plus pareil.
Ça a toujours été compliqué pour moi. A Sochaux, où j’ai fait ma formation avant de signer un contrat pro, tout le monde disait que j’étais là grâce à mon père [membre du « carré magique » aux côtés de Platini, Giresse et Tigana, Bernard Genghini a remporté l’Euro-84 avec l’équipe de France]. De la jalousie, rien de méchant. Mais ça s’est poursuivi en professionnel. Mon père, à la fois directeur sportif de Sochaux et mon agent, n’est pas allé au feu pour moi quand le coach d’alors, Dominique Bijotat, n’a plus fait appel à moi. Ces moments-là ont été compliqués à vivre.
Après Sochaux, je suis passé par Gueugnon, Strasbourg, Mulhouse et enfin Schiltigheim. Je cherchais un club familial. Je ne voulais plus quitter l’Alsace, j’en avais marre de bouger. Ma carrière est derrière moi désormais. Je ne penserai donc qu’à prendre du plaisir face à Auxerre, pas à briller pour me faire remarquer. Je n’aurai plus l’occasion de jouer beaucoup de matchs de ce niveau. Mon père est le premier à me le rappeler. Il a remporté le trophée en 1985, avec Monaco. »
Jean-Philippe Krasso (attaquant, 20 ans) : l’espoir
« Dans le foot, il faut se déchirer pour faire sa place. » Jean-Philippe Krasso, attaquant du Sporting Club de Schiltigheim. / ROMAN COLAS
« Rien n’est possible dans le foot sans travail. J’ai parfois pêché dans ce domaine, il m’a fallu du temps pour le comprendre. A Lorient, à peine majeur, je me suis retrouvé en équipe 3, par manque de régularité sur le terrain. J’ai mal vécu le fait d’être mis sur la touche pour la première fois de ma carrière. C’est dans ces moments que les plus forts font la différence. Moi j’ai d’abord baissé les bras. Pas assez costaud. Je me suis retrouvé sans contrat.
Passer d’un club pro à une équipe de National 2 a été dur à encaisser. J’ai mis un mois à trouver mes marques avant de vraiment commencer à travailler. Je me suis retrouvé dans un vestiaire plus âgé, avec des joueurs en fin de carrière. C’est important d’être entouré d’anciens, qui ont souvent connu le monde pro. Ils m’encouragent, me donnent des conseils. Ils dégagent beaucoup de sérénité dans les moments compliqués, c’est impressionnant. J’ai beaucoup à apprendre d’eux, tout en veillant à garder mon style de jeu.
Le football est souvent dépeint comme un monde cruel, mais personne n’est dupe. J’ai laissé passer ma chance une fois à Lorient, je compte sur mon passage à Schiltigheim pour me relancer et retrouver rapidement le haut niveau. La rencontre contre Auxerre sera une étape importante. Il y aura des médias, plus d’observateurs que pendant les matchs de championnat. Mais je dois surtout bosser à fond. Et trouver l’envie. »