Au Mali, un nouveau premier ministre confronté à de nombreux défis
Au Mali, un nouveau premier ministre confronté à de nombreux défis
Par Bokar Sangaré (contributeur Le Monde Afrique, Bamako)
Soumeylou Boubèye Maïga a pris la tête d’un gouvernement confronté à la montée des violences à quelques mois de rendez-vous électoraux cruciaux pour le pays.
Souvent pressenti mais jamais confirmé, Soumeylou Boubèye Maïga vient finalement d’être nommé, le 30 décembre 2017, au poste de premier ministre du Mali. Un aboutissement personnel pour ce politicien chevronné qui intervient à une période délicate pour son pays : l’agenda électoral est chargé alors que l’environnement sécuritaire se dégrade.
Les thèmes abordés par le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), lors de sa présentation des vœux du Nouvel An énumèrent les difficultés que le nouveau chef du gouvernement devra affronter : lutte contre le terrorisme dans un environnement sécuritaire dégradé, respect d’un agenda électoral chargé avec une présidentielle et des législatives prévues pour l’été 2018, précédées, théoriquement, d’élections régionales et locales, application d’une loi d’entente nationale alors que la mise en œuvre de l’accord de paix de 2015 piétine.
L’adresse présidentielle est intervenue quelques jours seulement après la démission surprise du cinquième premier ministre d’IBK, Abdoulaye Idrissa Maïga. Celui-ci, vice-président du parti au pouvoir (le Rassemblement pour le Mali ou RPM), serait « parti sur fond de crise avec le président », indique son entourage.
Poids lourd
Pour le remplacer, le chef de l’Etat a choisi un poids lourd de la politique malienne. Soumeylou Boubèye Maïga, 63 ans, secrétaire général de la présidence depuis 2016, est originaire de Gao. Cet ancien journaliste est décrit depuis plusieurs mois comme l’homme de la situation. Ses partisans mettent en avant ses connaissances des questions sécuritaires, militaires et géostratégiques, expérimentées lors de ses différents passages, au gré de ses nominations, à la tête de la sécurité d’Etat, de la diplomatie ou de la défense malienne.
Il dirigera un gouvernement peu remanié par rapport au précédent. « Mais c’est un gouvernement de crise dans un contexte de crise », observe toutefois Alexis Kalambry, analyste politique. En effet, plus de deux ans après sa signature, l’Accord de paix d’Alger est loin d’être appliqué. En dépit de la réinstallation du gouverneur à Kidal (nord du pays), de l’installation de l’autorité intérimaire et du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) destiné à améliorer l’environnement sécuritaire, la crise est toujours là, la réconciliation n’avance pas.
Pis, ce constat qui s’applique depuis des années au nord du Mali et à la question touareg touche dorénavant le centre du pays. Dans son dernier rapport, fin décembre 2017, le Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS) indique ainsi que « les conditions de sécurité ont été marquées par des attaques asymétriques contre les forces de sécurité et les agents humanitaires […]. Le rétablissement des services publics ne s’est pas déroulé comme prévu et la population de certains secteurs n’a eu d’autre choix que de se rallier à des groupes militants pour obtenir leur protection ».
« Un homme éminemment intelligent »
A Bamako, Soumeylou Boubèye Maïga est donc vu comme la dernière carte du président pour redresser la situation sécuritaire. Et aussi, pour préparer la réélection d’Ibrahim Boubacar Keita en juillet, même si celui-ci n’a pas encore annoncé formellement sa candidature pour un second quinquennat.
Pour ce faire, Soumeylou Boubèye Maïga, surnommé le « Tigre » et décrit comme un « homme de réseau, éminemment intelligent », devra d’abord ressouder une majorité présidentielle affaiblie, ces derniers temps, par des désertions.
M. Maïga parviendra-t-il à rassembler la soixantaine de partis de la majorité présidentielle autour d’IBK ? La stratégie semble déjà en marche. Dans le nouvel attelage gouvernemental, trois portefeuilles restent occupés par l’Adema-PASJ, dont le représentant était arrivé troisième au premier tour de la présidentielle de 2013. Cette formation, l’une des plus importantes du pays, connaît des dissensions internes autour de la question de présenter un candidat en 2018. « Ceux qui sont au gouvernement ont promis le soutien du parti à IBK », glisse un membre poussant, au contraire, en faveur d’une candidature face au chef de l’Etat.
Des petits fichiers sur tout le monde
Celui-ci chercherait « à neutraliser une menace nommée par l’Adema-PASJ », selon Andrew Lebovich, chercheur américain, doctorant en histoire à l’université de Columbia. Une de nos sources rappelle que le nouveau premier ministre a dirigé les services de renseignement sous Alpha Oumar Konaré (1993-2002), et qu’à ce titre « il a l’habitude de constituer des petits fichiers sur tout le monde ». « Il pourrait désorganiser la classe politique et créer des dissensions au sein de l’opposition », selon l’un de ses anciens proches collaborateurs.
L’organisation, en avril, des élections régionales et locales couplées aux communales partielles, initialement prévues pour décembre 2017, apparaît comme un galop d’essai pour le nouveau gouvernement. « Un test, oui, mais presque plus personne ne croit que la situation sécuritaire va s’améliorer en quatre mois pour permettre de tenir les scrutins, en particulier dans le centre du pays », estime Andrew Lebovich. Mais, pour un avocat bamakois qui a requis l’anonymat, « ces scrutins doivent avoir lieu si on ne veut pas que leur report serve à ajourner la présidentielle ».
Autant de défis politiques et sécuritaires à relever qui permettront d’évaluer si Soumeylou Boubèye Maïga mérite bien un surnom gagné au fil des ans : « Le Tigre ».