L’Inde s’achemine vers une dépénalisation définitive de l’homosexualité
L’Inde s’achemine vers une dépénalisation définitive de l’homosexualité
Par Intérim (Bombay, correspondance)
La Cour suprême va réexaminer la constitutionnalité d’un article du code pénal qui interdit les rapports « contre l’ordre de la nature ».
A la Marche des fiertés organisée à Bangalore (Inde) en novembre 2017. / MANJUNATH KIRAN / AFP
Petit à petit, l’idée fait son chemin en Inde que l’homosexualité doit être dépénalisée une bonne fois pour toutes. Lundi 8 janvier, la Cour suprême du pays a franchi un pas important en ce sens, en annonçant qu’elle acceptait de réexaminer la constitutionnalité de l’article 377 du code pénal, lequel prévoit des peines de prison pouvant aller jusqu’à la perpétuité pour toute personne ayant un « rapport charnel contre l’ordre de la nature avec un homme, une femme ou un animal ».
Ce texte du XIXe siècle, que l’Inde doit à l’occupant britannique, avait été abrogé en 2009 par la Haute Cour de Delhi. Mais quatre ans plus tard, en décembre 2013, la Cour suprême avait cassé cette décision, estimant qu’il revenait au législateur, et non au pouvoir judiciaire, de statuer sur l’homosexualité. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, même si le tristement célèbre article 377 concerne aussi la pédophilie et la zoophilie, ce qui encourage les homophobes aux amalgames les plus sordides.
Ces quatre dernières années, les associations de défense des homosexuels n’ont pas relevé de cas d’emprisonnement au titre de l’article 377, mais elles ont sans relâche dénoncé la pression exercée sur les homosexuels, en particulier par la police, les victimes se voyant extorquer de l’argent sous la menace de voir leur vie sexuelle révélée à leur famille, le cas échéant par la mise en ligne de vidéos filmées sur des lieux de drague ou lors de perquisitions.
Le virage à 180 degrés de la Cour suprême soulève un immense espoir au sein d’une communauté gay indienne qui s’était reprise à timidement espérer, en août 2017, lorsque l’institution avait rappelé, dans un jugement considéré comme historique, « le respect de la vie privée » auquel chaque citoyen a droit, en vertu de l’article 21 de la Constitution. Une vie privée qui englobe « intrinsèquement » la sexualité, avaient alors précisé les magistrats. « Toute discrimination envers un individu en raison de son orientation sexuelle est profondément offensante pour la dignité et l’estime de soi », avaient-ils alors admis.
Sujet extrêmement sensible
Ces derniers souhaitent donc passer à l’étape suivante, en mettant le code pénal en adéquation avec leur nouvelle interprétation de la Constitution. Pour justifier leur revirement, ils expliquent aujourd’hui que « l’ordre de la nature n’est pas invariable », que « la morale change au fil des générations » et que « la loi doit s’adapter aux réalités de la vie ». Ils considèrent également que « personne ne devrait jamais rester dans un état de peur » en raison de ses pratiques sexuelles.
Les juges de la Cour suprême ont manifestement entendu le message répété depuis bientôt deux ans par cinq personnalités qui les avaient saisis du sujet : Aman Nath, écrivain et historien, compagnon du Français Francis Wacziarg (mort en 2014) avec qui il a fondé la chaîne hôtelière Neemrana ; Navtej Singh Johar, danseur qui avait orchestré la parade du Commonwealth à l’occasion du jubilé de la reine Elizabeth II, à Londres, en 2002, et son compagnon Sunil Mehra, journaliste, ancien rédacteur en chef de Maxim Magazine et fondateur d’une école de yoga réputée à Delhi ; Ritu Dalmia, chef cuisinière à l’origine de la chaîne de restaurants Diva ; Ayesha Kapur, enfin, consultante dans le secteur agroalimentaire et militante de la cause homosexuelle.
A ce stade, la Cour suprême se garde d’avancer un calendrier, alors que dans un an exactement, en janvier 2019, l’Inde entrera en campagne pour élire un nouveau Parlement. Le sujet reste extrêmement sensible, dans un pays gouverné depuis mai 2014 par les nationalistes hindous, très conservateurs sur les sujets de société.
Le BJP, le mouvement du premier ministre, Narendra Modi, n’a pas de position officielle sur l’article 377, mais certains de ses dirigeants ont déclaré à plusieurs reprises que le parti considérait l’homosexualité comme « une anomalie génétique ». Lundi 8 janvier, l’un de ses porte-parole a néanmoins affirmé que « toute décision de la Cour suprême allant dans le sens des derniers développements de la jurisprudence sur les droits des homosexuels dans le monde [serait] la bienvenue ». – (Intérim.)