« Seule sur la plage la nuit » : divagations mélancoliques autour d’un absent
« Seule sur la plage la nuit » : divagations mélancoliques autour d’un absent
Par Mathieu Macheret
Hong Sang-soo poursuit son observation des tourments amoureux.
Il en va désormais des films d’Hong Sang-soo comme des saisons : ils se succèdent, déposant dans nos cœurs des qualités particulières qui s’éteignent et renaissent avec eux. Seule sur la plage la nuit se laisse ranger parmi ses contes d’hiver (comme, par exemple, Matins calmes à Séoul, 2011), transi par le froid et l’humidité, baignant dans des demi-jours et des pénombres fuligineuses, moucheté par ces phylactères de vapeur fugaces qui s’échappent des conversations en extérieur.
Présenté à la Berlinale, en février 2017, dont il est revenu avec un prix d’interprétation, il s’inscrit dans une veine récente des films tournés avec Kim Min-hee (Le Jour d’après, La Caméra de Claire), comédienne récurrente et nouvelle muse du réalisateur, venue à ce cinéma de la valse-hésitation amoureuse comme pour y instaurer un nouveau point de vue. Celui d’une jeune femme bafouée et rejetée pour l’occasion dans une parenthèse de son existence, mais soutenue par sa lucidité et son intelligence sensible.
Elle joue ici le rôle de Yeong-hui, une actrice en vacances, d’abord à Hambourg, aux côtés d’une amie, puis de retour en Corée du Sud, à Gangneung, la petite ville côtière de son enfance. Cette goguette, rythmée par les promenades, les rencontres, les discussions, les repas, les retrouvailles, cache en vérité une douleur enfouie. Yeong-hui attend quelqu’un, un amant, qui s’obstine à ne pas la rejoindre et dont l’absence s’étend autour d’elle comme un trou noir.
Dans les détours et les trébuchements des échanges se laisse deviner un arrière-plan plus grave : un vent de scandale et d’adultère qui entoure la jeune femme esseulée et jette le discrédit sur sa relation agonisante. Son congé se révèle peu à peu pour ce qu’il est : une fuite, un exil, une relégation dont sourdent la solitude et l’opprobre. Seule sur la plage la nuit s’avance ainsi comme un film de coulisses et d’à-côtés, déserté par un drame qui semble avoir eu lieu en un autre temps et en un autre endroit, laissant place à la douleur et surtout à son lent cheminement pour se faire jour.
Deux facettes réversibles
Tout, dans l’errance de Yeong-hui, se présente alors selon deux facettes infiniment réversibles : la surface simple, excessivement banale, des choses et, derrière elles, les gouffres de mélancolie, d’attente, d’amertume, d’incertitude, qu’elles recouvrent. Suprême indétermination du cinéma d’Hong Sang-soo, qui fait de l’anodin le trajet le plus sûr vers les plus profonds, parfois les plus rugueux, sentiments humains.
Le plus surprenant étant la façon dont le rêve (l’inconscient ?) s’invite ici, sous la forme d’un « homme en noir » surgissant plusieurs fois au-devant de Yeong-hui, pour commettre des actes incongrus (laver les carreaux, enlever l’héroïne comme un baluchon) ; silhouette venue trouer le récit comme un retour halluciné de l’homme qui manque. C’est ainsi que l’émotion se loge dans les recoins les plus inattendus des films d’Hong Sang-soo. Notamment dans ces quelques scènes gratuites, où Yeong-hui s’abandonne tout entière à des « actes de grâce » : prier avant de traverser un pont ou fredonner une ritournelle in extenso lors d’une pause cigarette, toutes choses qui ne servent à rien (au regard de la dramaturgie), mais qui tiennent, ne serait-ce qu’un instant, la douleur en respect.
Reste une chose : cette phrase merveilleuse du Quintette en ut majeur, de Schubert, qui revient ponctuellement souligner les mouvements d’âme de l’héroïne. Et si Seule sur la plage la nuit était le Winterreise d’Hong Sang-soo ?
Bande annonce SEULE SUR LA PLAGE LA NUIT, de Hong Sangsoo
Durée : 01:45
Film sud-coréen d’Hong Sang-soo. Avec Kim Min-hee, Seo Young-hwa, Kwon Hae-hyo (1 h 41). Sur le web : www.capricci.fr, www.facebook.com/capricci
Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 10 janvier)
- Belinda, film français de Marie Dumora (à ne pas manquer)
- Downsizing, film américain d’Alexander Payne (à ne pas manquer)
- Seule sur la plage la nuit, film sud coréen de Hong Sang-soo (à ne pas manquer)
- Que le diable nous emporte, film français de Jean-Claude Brisseau (à voir)
- Las marimbas del infierno, film français de Julio Hernandez Cordon (à voir)
- Normandie nue, film français de Philippe Le Guay (pourquoi pas)
- Vers la lumière, film japonais de Naomi Kawase (pourquoi pas)
- Si tu voyais son cœur, film français de Joan Chemla (pourquoi pas)
Nous n’avons pas pu voir
- La Monnaie de leur pièce, film français d’Anne Le Ny
- Les films de l’été : Rien sauf l’été et le film de l’été, film français et belge de Claude Schmitz et Emmanuel Marre
- Une aventure théâtrale, 30 ans de décentralisation, documentaire français de Daniel Cling