En Inde du Sud, la politique est un jeu d’acteurs
En Inde du Sud, la politique est un jeu d’acteurs
M le magazine du Monde
La star de cinéma Rajinikanth a créé son propre parti politique en vue des élections régionales de 2021. Son projet : réconcilier le spirituel et la politique.
Rajinikanth lors d’une rencontre avec des fans, le 29 décembre 2017 à Chennai. Deux jours plus tard, la superstar du cinéma tamoul a créé son propre parti au Tamil Nadu, en vue du prochain scrutin régional de 2021. / Arun Sankar/AFP
Rajinikanth, de son vrai nom Shivaji Rao Gaekwad, le plus grand héros du cinéma tamoul de tous les temps, s’est donné pour mission de réconcilier le spirituel et la politique. Une façon de justifier sa descente dans l’arène électorale de la République laïque indienne. Le monstre sacré du septième art aura attendu de fêter ses 67 ans pour lancer un nouveau parti le 31 décembre, à Chennai (ancienne Madras), après une carrière d’acteur phénoménale, marquée par plus de 175 films.
Dans ses films, Rajinikanth joue les superhéros
Kabali Tamil Movie Official Trailer Rajinikanth
Durée : 01:30
La question est de savoir si les 72 millions d’habitants du Tamil Nadu sont demandeurs de cette ébauche de programme. « Le spirituel était la grande idée de Gandhi pour purifier la politique, on sait comment ça a fini », fait remarquer avec perfidie le poète Makarand Paranjape, professeur d’anglais à l’université Jawaharlal Nehru de Delhi.
« Thalaiva » (le « boss », en tamoul) dispose d’une belle rampe de lancement : plus de 50 000 associations font actuellement sa promotion, ce qui pourrait rassembler en son nom « dix millions de voix » lors du prochain scrutin régional fixé à 2021, calcule Makarand Paranjape. Maligne, la mégastar a obtenu la bénédiction du BJP, le parti (de droite nationaliste) de Narendra Modi, dont la popularité est toujours au zénith au niveau national mais qui brille par son absence dans le sud du pays. Rajinikanth espère aussi tirer profit des déchirements de la classe dirigeante locale.
Combattre la corruption sur grand écran
« La politique est pourrie et la démocratie n’existe plus, estime-t-il, si je ne me lançais pas maintenant, je me sentirais coupable jusqu’à mon dernier souffle. » Depuis la mort prématurée en décembre 2016 de Jayalalithaa, chef du gouvernement du Tamil Nadu, le parti au pouvoir (AIADMK) est en pleine déliquescence tandis que, dans l’opposition, le DMK est dirigé par Karunanidhi, un vieillard de 93 ans en chaise roulante.
L’atout principal de Rajinikanth est d’appartenir à la grande famille de Kollywood, l’industrie du cinéma tamoul dont les studios, situés dans le quartier de Kodambakkam, à Chennai, font naître d’invraisemblables vocations politiques chez les créateurs ou interprètes de personnages connus pour combattre sur grand écran la corruption au profit des masses. Ainsi des trois derniers chefs de gouvernement du Tamil Nadu : Karunanidhi, qui a occupé le poste cinq fois entre 1969 et 2011, était scénariste de profession ; Jayalalithaa, qui a été cinq fois ministre en chef entre 1991 et 2016, était une comédienne archi-adulée ; et son mentor, M.G. Ramachandran, fondateur de l’AIADMK et trois fois chef de l’exécutif entre 1977 et 1987, était lui aussi acteur.
« Ce phénomène unique est enraciné dans la psyché du Tamil Nadu : les gens d’ici ont un goût particulier pour les personnages cultes qui incarnent des rôles mythiques à l’écran », explique la critique de cinéma Shubhra Gupta. « Les films sont des machines à propagande qui permettent de catapulter ces stars dans la sphère politique », souligne Anbumani, historien du cinéma. Pour convertir ses fans en électeurs, Rajinikanth peut compter sur son style immensément populaire. « Reste à trouver de la substance », prévient néanmoins K. Venkataramanan, chroniqueur à The Hindu, le grand quotidien de Chennai.