Le Parlement égyptien veut légiférer contre l’athéisme
Le Parlement égyptien veut légiférer contre l’athéisme
Par Eddie Rabeyrin
L’absence de croyance, déjà réprimée sous prétexte de blasphème ou de diffamation de la religion, pourrait devenir un crime à part entière.
Au Parlement égyptien, en 2012. / MAHMUD HAMS / AFP
La lutte contre l’athéisme pourrait bientôt franchir un nouveau cap en Egypte. Amr Amroush, le président du comité religieux du Parlement égyptien, a annoncé, fin décembre 2017, la préparation d’un projet de loi criminalisant l’absence de croyance. Une initiative qui a reçu le soutien de la mosquée d’Al-Azhar, la plus haute autorité religieuse sunnite du pays. S’il venait à être adopté par le Parlement, le texte permettrait le recours à des peines de prison ou à des amendes.
En parallèle, elle prévoit une surveillance accrue sur Internet des sites et réseaux sociaux. « La répression sera plus dure et plus ciblée sur les athées », estime Mohammed Zaree, directeur du bureau égyptien de l’Institut du Caire pour les études sur les droits humains.
L’actuelle législation permet déjà, par le biais de l’article 98 du code pénal égyptien, d’entamer des poursuites pour blasphème ou diffamation de la religion. De nombreuses personnes en ont d’ailleurs déjà fait les frais. Dernier exemple en date : le 24 décembre, une mère s’est vue retirer la garde de ses deux enfants par le tribunal des affaires familiales du Caire, au motif qu’elle était athée.
« La Constitution n’est qu’un bout de papier »
Le projet de loi peut sembler contraire à la Constitution égyptienne qui, bien que faisant de l’islam la « religion d’Etat », garantit aussi la liberté de croyance. Pourtant, dans un entretien donné au quotidien national Al-Chourouk le 23 décembre, Amr Amroush assurait ne pas y voir d’obstacle juridique. « A l’heure actuelle, la Constitution n’est qu’un bout de papier », regrette M. Zaree.
La question de l’athéisme a émergé de façon visible lors de la révolution de 2011. « Je ne dirais pas que c’est une tendance qui monte. Simplement, les gens se sont sentis plus libres de s’exprimer à ce moment-là », ajoute Mohammed Zaree.
La libération de la parole a été de courte durée : en 2014, peu après l’élection d’Abdel Fattah Al-Sissi à la présidence, le ministère de la jeunesse et des sports et celui des affaires religieuses avaient lancé un grand plan d’action nationale contre la « diffusion de l’athéisme ». « En réalité, les dirigeants ne s’inquiètent pas vraiment d’une montée de l’athéisme au sein de la population. Ils cherchent surtout à se créer une légitimité en satisfaisant les penchants conservateurs de la majorité », analyse M. Zaree.
Les comportements peu conformes aux valeurs de l’islam font désormais l’objet d’une forte répression. Le 12 décembre, la chanteuse égyptienne Shyma a été condamnée à deux ans de prison pour « incitation à la débauche » à la suite d’un clip jugé trop suggestif – on y voit notamment la jeune femme en tenue légère lécher une pomme d’amour et manger une banane.
De même, lors d’un concert au Caire du groupe libanais Mashrou’Leila en septembre, une trentaine de personnes ont été arrêtées pour avoir déployé des drapeaux arc-en-ciel, symbole de la communauté LGBT. Huit d’entre eux ont été condamnés à des peines d’emprisonnement. Dans la foulée, des parlementaires ont présenté un projet de loi visant à pénaliser l’homosexualité.
Ce faisant, la politique intérieure égyptienne apparaît en décalage avec l’image que le pouvoir voudrait renvoyer à la communauté internationale. Dans son discours du 19 septembre à l’ONU, le président Al-Sissi disait vouloir « rectifier le discours religieux de l’islam, afin de mettre en avant ses valeurs de modération et de tolérance ».