Lors d’une manifestation contre l’extrême droite, à Vienne, le 13 janvier. « Ne laissez pas les nazis au gouvernement », peut-on lire sur ces pancartes. / HEINZ-PETER BADER / REUTERS

Ils voulaient offrir au monde un autre visage de l’Autriche. Samedi 13 janvier, ils ont surtout prouvé la grande diversité des oppositions à l’extrême droite. Car, finalement, peu de chose rassemblait les milliers de personnes – 20 000 selon la police, 70 000 selon les organisateurs – venues manifester dans le froid d’un mois de janvier continental, à Vienne, contre le retour du FPÖ au pouvoir, dans ce petit pays d’Europe.

Militants d’extrême gauche ou sociaux-démocrates, étudiants, intellectuels engagés, bénévoles soutenant les réfugiés ou simples citoyens alarmés, ils étaient bien plus nombreux que prévu à avoir jugé nécessaire d’entamer l’année en rappelant au nouveau gouvernement, formé le 20 décembre 2017, qu’ils entendaient donner de la voix. « C’était l’une des manifestations les plus importantes depuis des années », s’est réjouie Carla Sedlak, de l’association antifasciste Plattform Radikale Linke, qui déplore que l’Autriche soit à l’aube d’une « transformation autoritaire, comme en Hongrie et en Pologne ».

Très bien représentés, les syndicats de la gauche ont condamné la politique économique de la nouvelle coalition entre les conservateurs-chrétiens (ÖVP, parti populaire) et l’extrême droite (FPÖ, Parti de la liberté d’Autriche), une « attaque frontale de la classe ouvrière », selon l’un de leurs membres, Axel Magnus. Le gouvernement « prévoit des sanctions à l’encontre des chômeurs de longue durée, réfléchit à des journées de douze heures de travail et à réduire les pauses des employés, a énuméré le social-démocrate (SPÖ) Andreas Schieder. Pendant ce temps-là, il accorde des énormes réductions d’impôts à l’industrie du tourisme et aux employeurs. »

« Provocation »

Les manifestants ont par ailleurs réclamé la démission du très controversé nouveau ministre de l’intérieur, Herbert Kickl. Ce dernier a proposé, jeudi 11 janvier, de cantonner les demandeurs d’asile de manière « concentrée » dans des centres. Une terminologie rappelant les camps de concentration.

Une « provocation », selon l’essayiste Robert Misik, tout comme, semble-t-il, pour le président de la République, qui lance un rappel à l’ordre. « Qu’elles soient délibérément utilisées ou non, les formules pouvant être comprises comme autant d’allusions aux heures les plus sombres de notre histoire ne doivent trouver aucune place dans le discours politique », a mis en garde l’écologiste Alexander Van der Bellen, précisément élu en 2016 par une majorité des Autrichiens pour faire barrage au candidat FPÖ, Norbert Hofer, au sommet de l’Etat.

Le chancelier social-démocrate sortant, Christian Kern, a demandé à son successeur, Sebastian Kurz (ÖVP), de sanctionner ce dérapage en invoquant la « réputation » de l’Autriche sur la scène internationale. « Dans six mois, ce ministre va se retrouver dans une position de leader européen de la politique de l’asile, puisque son gouvernement va présider l’Union européenne, rappelle Benjamin Abtan, le président du Mouvement antiraciste européen, qui fédère des organisations dans trente-cinq pays et a participé aux manifestations à Vienne. C’est inacceptable. »

Pour l’instant, M. Kurz semble satisfait de « l’importante clarification » de son ministre, qui a assuré n’avoir « en aucun cas eu l’intention de provoquer ». M. Kickl n’aura sans doute pas convaincu le Comité autrichien de Mauthausen, une organisation de déportés, qui s’était déjà indigné, quinze jours auparavant, de la nomination d’Alexander Höferl comme porte-parole au ministère de l’intérieur.

Ce dernier n’est autre que l’un des anciens journalistes d’Unzensuriert, un site Internet de « réinformation », dont les contenus « aux tendances antisémites et extrêmement hostiles aux étrangers » relaient des « théories du complot et une idéologie prorusse », selon un rapport des services fédéraux de renseignement, datant de 2016 et consulté par Le Monde.

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