« Les dirigeants d’entreprises publiques ont un devoir d’exemplarité. Un dirigeant d’entreprise publique condamné pour favoritisme, ce n’est pas une situation acceptable, déclare la ministre de la culture Françoise Nyssen au Monde, mardi 16 janvier. Il appartient à l’intéressé d’en tirer les conséquences, ainsi qu’au Conseil supérieur de l’audiovisuel, légalement compétent. » Ces propos durcissent fortement la ligne du gouvernement, qui demande désormais indirectement le départ de Mathieu Gallet : l’ancien président de l’Institut national de l’audiovisuel a été condamné à un an de prison avec sursis et 20 000 euros d’amende, lundi 15 janvier.

L’actuel président de Radio France était jugé pour « favoritisme », soupçonné d’avoir commandé environ 400 000 euros de prestations à deux sociétés de conseil sans avoir respecté les règles des marchés publics, lorsqu’il présidait l’INA, entre 2010 et 2014. Le parquet avait requis dix-huit mois de prison avec sursis et 40 000 euros d’amende. « Nous faisons immédiatement appel pour que la cour examine ce dossier avec sérénité et dans le respect des droits de la défense », a déclaré l’avocat de Mathieu Gallet, Christophe Ingrain.

Changement de ton

De façon préventive, M. Gallet avait exclu de démissionner, dans un entretien au Monde réalisé mi-décembre :

« Mon mandat court jusqu’en mai 2019 et je resterai pleinement investi jusque-là. »

Le changement de ton de Mme Nyssen est une surprise. Lundi dans la journée, le ministère de la culture avait dans un premier temps évité de prendre position sur le fond : « C’est d’abord à Mathieu Gallet qu’il revient d’apprécier les éventuelles conséquences de la décision, avait fait valoir au Monde le cabinet de la ministre Françoise Nyssen. La loi donne actuellement au seul Conseil supérieur de l’audiovisuel [CSA] le pouvoir de nommer et de défaire les mandats. Dans ce cadre, toute intervention de l’exécutif serait critiquable. »

Dans un communiqué diffusé lundi soir, Mme Nyssen avait ensuite rappelé son attachement « au respect des règles de la commande publique et à l’exemplarité des dirigeants des établissements et des entreprises publiques ».

Jusqu’ici, dans la majorité issue de l’élection d’Emmanuel Macron, l’action de Mathieu Gallet a fait l’objet d’une certaine bienveillance. Les choix budgétaires et les prises de position de l’exécutif ont davantage ciblé le groupe France Télévisions de Delphine Ernotte que Radio France.

Pression de l’exécutif

Selon la loi de novembre 2013 sur l’indépendance de l’audiovisuel public, « le mandat des présidents (…) peut leur être retiré, par décision motivée » du CSA, « à la majorité ». Mais le Conseil ne devrait pas se pencher sur le cas Gallet avant au minimum mercredi, jour de sa prochaine session plénière. Pour appuyer le maintien de M. Gallet, il pourrait être mis en avant que les faits ne concernent pas Radio France mais l’INA. Par ailleurs, le fait que Mathieu Gallet ait fait appel pourrait inciter le CSA à différer sa décision. Mais le conseil devra désormais composer avec la pression de l’exécutif.

Dans leur plaidoirie, les avocats du président de Radio France avaient tenté d’obtenir la nullité de la procédure : selon eux, la procureure de la République de Créteil, Amélie Cladière, se serait montrée « partiale » et aurait commis des erreurs, par exemple en imposant à un personnage public une garde à vue superflue ou en n’interrogeant pas certains acteurs clés. Les avocats ont même porté plainte contre le parquet de Créteil pour violation du secret de l’enquête. Mais jusqu’ici, ils n’ont pas été entendus. La condamnation de M. Gallet « est une vraie satisfaction », a jugé Jérôme Karsenti, avocat de l’association Anticor, qui avait porté plainte en 2015 contre la « gabegie » des ex-dirigeants de l’INA, Mathieu Gallet et Agnès Saal.

Pour sa défense, Mathieu Gallet avait plaidé la méconnaissance des « questions de marché public ». Deux contrats étaient concernés. Le premier avait été signé avec le cabinet de conseil Roland Berger en 2013, pour accompagner à l’INA la fusion des directions des archives et du dépôt légal. Un premier marché a été passé avec appel d’offres, mais il a été suivi d’un avenant puis d’un « marché complémentaire », pour un montant total de 290 000 euros. Selon l’accusation, M. Gallet a « saucissonné » le marché pour éviter de lancer un « appel d’offres européen » et pour le confier à Roland Berger, qui avait déjà travaillé pour l’INA en 2010.

Le second contrat n’avait, lui, pas fait l’objet d’une mise en concurrence. Il s’agissait de prestations payées mensuellement à Balises, la société du consultant Denis Pingaud, pour un total de 130 000 euros, supérieur au seuil pour les appels d’offres. M. Gallet a justifié le choix d’un conseiller qu’il connaissait et a assuré que « les équipes en place » n’avaient pas demandé la mise en concurrence de ce contrat. « Cela a été fait » à Radio France, où une société de M. Pingaud a également obtenu un contrat, a précisé M. Gallet.

« Risqué » de demander sa tête

La réaction des syndicats de Radio France sera scrutée. Lundi, Philippe Ballet, président de l’UNSA, ne demandait pas le départ de M. Gallet : « Doit-il démissionner ? Non, vu qu’il a fait appel. » L’élu regrette toutefois que « la décision conteste un peu la légitimité du président à la tête de Radio France, à un moment où la relation et le rapport de force avec la tutelle sont importants » en raison de la future réforme de l’audiovisuel public. Un autre employé syndiqué estime à titre personnel que M. Gallet devrait démissionner mais juge « risqué » de demander sa tête, vu les réformes à venir.

La procédure de renouvellement du mandat de M. Gallet devrait, en principe, être enclenchée à la fin de 2018, mais l’exécutif envisage, auparavant, de changer le mode de nomination pour le confier au conseil d’administration des entreprises concernées. De plus, le gouvernement n’exclut pas de créer une structure pilotant à la fois Radio France et France Télévisions, ce qui supposerait de nommer un dirigeant unique dès le courant de 2018.