Sahara occidental : à la Cour de justice de l’UE, une victoire symbolique pour le Front Polisario
Sahara occidental : à la Cour de justice de l’UE, une victoire symbolique pour le Front Polisario
Par Sophie Motte
Le mouvement indépendantiste s’est lancé dans une bataille juridique contre les accords commerciaux passés entre le Maroc et l’Union européenne.
Mercredi 10 janvier, Melchior Wathelet, avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), a déclaré « invalide » l’accord de pêche signé entre le Maroc et l’UE : cet accord « ayant été conclu par le Maroc sur la base de l’intégration unilatérale du Sahara occidental à son territoire et de l’affirmation de sa souveraineté sur ce territoire, le peuple sahraoui n’a pas librement disposé de ses ressources naturelles, comme l’impose pourtant le droit à l’autodétermination », a-t-il estimé.
Le Sahara occidental est une étendue de terre désertique de 266 000 km2, dont 1 200 kilomètres de côtes, située entre le Maroc et la Mauritanie. En 1976, l’Espagne, la puissance coloniale, se retire de la région et le territoire est alors annexé par les deux pays frontaliers, avant que la Mauritanie ne se retire en 1979. Aujourd’hui, la situation politique n’est toujours pas réglée. Cette région est revendiquée par le Maroc, d’un côté, qui en contrôle 80 %, et par le Front Polisario, de l’autre.
Ce mouvement, créé en 1973 pour mettre fin à l’occupation du Sahara occidental, a proclamé en 1976 la République arabe sahraouie démocratique (RASD), un Etat embryonnaire dont le gouvernement s’est exilé en Algérie. Alors que depuis 1991 un cessez-le-feu existe avec le Maroc, les tensions sont récurrentes dans la région entre les deux protagonistes. Aucune des deux parties n’a réussi, à l’heure actuelle, à faire reconnaître sur la scène internationale sa souveraineté sur ce territoire.
Au vu de l’importance de ses ressources naturelles, le Sahara occidental est, sans conteste, une des pièces maîtresses de l’économie marocaine. L’avis rendu par l’avocat général de la CJUE le souligne. Il constate notamment que les quantités pêchées sur les côtes de la région représenteraient 91,5 % des captures globales effectuées par les pays de l’UE à la suite de l’accord de pêche établi avec le Maroc.
Quelle est la portée de cet avis ?
Melchior Wathelet a été amené à donner son avis à la suite de la saisine de la CJUE par un tribunal britannique. Outre-Manche, l’accord de pêche a fait l’objet d’une plainte déposée par Western Sahara Campaign, une ONG qui promeut le droit à l’autodétermination du Sahara occidental. L’organisation accuse notamment le gouvernement marocain de spolier, à travers l’accord de pêche, les ressources du peuple sahraoui sans avoir obtenu son consentement.
Afin de pouvoir rendre son verdict, ce tribunal s’est tourné vers la CJUE pour que celle-ci exprime son « opinion » sur l’affaire. C’est dans ce cadre que s’inscrit l’avis rendu par l’avocat général. Il est uniquement consultatif et n’est en aucun cas contraignant pour les juges de la Cour. Néanmoins, dans la majorité des cas, la CJUE rend des opinions qui suivent les avis formulés par les avocats généraux.
Existe-t-il un précédent ?
Ce n’est pas la première fois que les accords passés entre l’UE et le Maroc sont remis en cause par les défenseurs de la cause sahraouie. Le 21 décembre 2016, à la suite d’un recours contre l’accord agricole en vigueur entre ces deux parties, la CJUE avait jugé que les conventions passées avec le Maroc se devaient d’être conformes « aux règles pertinentes de droit international applicables dans les relations entre l’Union et le royaume du Maroc » et que, par conséquent, l’accord ne s’appliquait pas « au territoire du Sahara occidental ».
Cette victoire juridique a ouvert la voie à une nouvelle forme de lutte, cette fois-ci légale, pour les « pro-RASD ». A partir de décembre 2016, le Front Polisario s’est lancé dans une véritable bataille juridique contre les accords commerciaux passés entre l’UE et le Maroc. Au Havre, le 20 janvier 2017, il dépose plainte contre X pour « discrimination économique et fraude à l’origine » au détriment du peuple sahraoui. Le lendemain, Me Gilles Devers, l’avocat français du Front Polisario, annonce qu’il poursuit la Direction interrégionale des douanes de Rouen : un bateau aurait chargé illégalement de l’huile de poisson à Al-Aain, une grande ville portuaire du Sahara occidental.
Un cargo chargé de phosphates arraisonné en Afrique du Sud, une plainte contre la filiale low cost d’Air France pour le lancement d’une nouvelle liaison entre Orly et Dakhla : les associations pro-Polisario multiplient les requêtes, toutes fondées sur la décision de la CJUE du 21 décembre 2016.
Comment réagissent les autorités marocaines ?
Le gouvernement marocain a décidé de ne pas réagir à l’avis de l’avocat général, préférant attendre l’opinion définitive de la Cour. La décision sur l’accord agricole avait, à l’époque, provoqué la colère de Rabat. Le ministère de l’agriculture et de la pêche maritime était même allé jusqu’à menacer directement l’UE de se tourner vers d’autres pays : « L’absence d’un engagement franc de la part de l’UE imposera au Maroc un choix décisif où il sera question de préserver un partenariat économique patiemment entretenu ou de s’en défaire sans retour pour se focaliser sur la construction de nouvelles relations et circuits commerciaux. »
Pourtant, depuis plusieurs années, le Maroc tend à modifier sa posture sur la question du Sahara occidental. Lui qui ambitionne de tenir un rôle croissant sur la scène africaine se voit dans l’obligation de sortir de l’immobilisme face à ce conflit régional qui perdure. En janvier 2017, le royaume a fait son retour au sein de l’Union africaine (UA) malgré la reconnaissance par cette organisation de l’existence de la RASD. Une façon aussi de faire valoir ses positions au sein de l’organisation continentale.