« Si la baisse du chômage se confirme, l’indicateur de fécondité pourrait augmenter de nouveau »
« Si la baisse du chômage se confirme, l’indicateur de fécondité pourrait augmenter de nouveau »
Le démographe Gilles Pison a commenté, mardi, la dernière étude de l’Insee sur la démographie française. Elle révèle un changement de dynamique en France, où les naissances baissent pour la troisième année d’affilée et où le taux de fécondité décroît.
Le dynamisme démographique exceptionnel qui a caractérisé la France jusqu’au tournant des années 2010 semble avoir vécu. Les données publiées par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), mardi 16 janvier, montrent que si la population continue d’augmenter, pour s’établir à 67,2 millions de personnes, elle le fait à un rythme moins soutenu que les années précédentes.
Gilles Pison, professeur de démographie au Muséum d’histoire naturelle, et chercheur associé à l’Institut national d’études démographiques, a répondu aux questions d’internautes lors d’un tchat mardi, en voici les principaux extraits.
Guigui : La nouvelle étude révèle-t-elle des éléments sur l’âge moyen auquel les femmes françaises ont leur premier enfant ? Et cela peut-il expliquer en partie la baisse globale de la natalité ?
Gilles Pison : Les femmes retardent leur première maternité. Elles ont leur premier enfant vers 28 ans et demi en moyenne aujourd’hui, quand leurs mères ont eu leur premier-né à 24 ans en moyenne. Les enfants suivants sont retardés d’autant, l’âge moyen à la maternité pour l’ensemble des naissances, que les enfants soient les premiers de leur mère ou non, est de 30,6 ans en 2017.
Ce retard des maternités contribue à déprimer l’indicateur de fécondité. Les femmes qui s’apprêtent à avoir un enfant attendent encore en effet pour l’avoir, alors que leurs aînées ont déjà eu leurs enfants et n’en ont plus. Le nombre total de naissances au cours d’une année en est donc diminué.
Wal : A-t-on une explication concernant la hausse de la mortalité (bien que minime) depuis le début 2000 (comme on peut le voir sur le graphique) ?
Le nombre de décès augmente depuis quelques années après être resté stable, aux alentours de 500 000 à 550 000 par an depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Il devrait continuer d’augmenter dans les prochaines années en raison de l’arrivée aux âges élevés des générations nombreuses nées pendant le baby-boom.
Sur ce sujet, je vous recommande l’article « Le nombre de décès va augmenter en France dans les prochaines années », que j’ai publié avec Laurent Toulemon dans Population et Sociétés.
Etudiant des Vosges : A quel terme pouvons-nous ressentir l’impact de cette baisse de fécondité sur la société ? Et avec quelles conséquences ?
La baisse de l’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) ces dernières années est modeste et il faut attendre quelques années pour voir si elle correspond à une tendance de fond ou à des fluctuations conjoncturelles. Si elle se poursuivait et si l’ICF descendait en dessous de 1,5 enfant par femme, comme dans certains pays du sud et de l’est de l’Europe, elle modifierait sensiblement les perspectives démographiques.
Mais, pour l’instant, rien n’indique un tel mouvement, et l’ICF pourrait varier en restant entre 1,7 et 2,1 enfants par femme, comme cela est le cas depuis la fin du baby-boom, il y a quarante ans. La France détient toujours l’ICF le plus élevé de l’Union européenne même avec la légère baisse de ces dernières années.
P : Vous dites que « La France détient toujours l’ICF le plus élevé de l’Union européenne ». A-t-on justement un comparatif au niveau de l’UE et quelles sont les tendances chez nos voisins ?
Les statistiques publiées par Eurostat indiquent des variations importantes de la fécondité d’un pays à l’autre de l’Union européenne. Elle est la plus élevée dans les pays du nord et de l’ouest de l’Europe, et la plus faible dans ceux du Sud et de l’Est. Le gradient est donc Nord-Ouest Sud-Est.
Les indicateurs de fécondité les plus bas, 1,3 enfant par femme en moyenne, s’observent dans les pays méditerranéens : Portugal, Espagne, Italie, Grèce. Les plus élevés, 1,7 enfant ou plus, dans les pays scandinaves, au Royaume-Uni et en Irlande. Et en France, qui est en tête de ce point de vue. Pour les tendances, l’indicateur était à la hausse pratiquement dans tous les pays dans les années 2000, et presque partout la hausse s’est arrêtée et l’indicateur a baissé à partir de 2008 à la suite de la crise financière et économique.
Il est légèrement remonté ces dernières années dans quelques pays où il était relativement bas. Par exemple en Allemagne ou en Hongrie. Malgré cette récente hausse, il est de 1,5 enfant par femme en Allemagne aujourd’hui, soit toujours nettement moins qu’en France.
Tezig : Quel serait l’impact de l’arrêt total de l’immigration en France sur la démographie ?
En 2017, la population de la France a augmenté de 0,3 %. La hausse vient pour deux tiers du solde naturel (la différence entre le nombre de naissances et le nombre de décès) et pour le tiers restant, du solde migratoire (la différence entre les entrées et les sorties de migrants). Si les migrations étaient stoppées, cela dans les deux sens, à la fois dans le sens des entrées et celui des sorties, la population continuerait d’augmenter sous l’effet du solde naturel, mais moins vite.
Le solde naturel va très probablement continuer de baisser dans les prochaines années, en raison principalement de la hausse des décès. Les dernières projections de l’Insee annoncent dans leur scénario moyen un solde naturel pratiquement nul en 2050. La population cesserait alors d’augmenter si en plus les migrations étaient arrêtées.
Clément : Bonjour, avez-vous estimé l’impact sur la natalité de toutes les mesures prises dans les dernières années, par exemple la baisse du plafond du quotient familial ?
Nous ne disposons pas d’estimations dans ce domaine. La réduction ou la suppression des allocations familiales n’a touché que les familles à revenu relativement élevé, pour qui elles ne représentent qu’une part très faible de l’ensemble de leurs ressources. Elle n’a pas touché les familles modestes, pour qui cela compte plus.
Florentinedm : Pensez-vous que c’est une tendance qui se poursuivra en 2018 ?
La baisse de l’indicateur conjoncturel de fécondité depuis trois ans en France vient sans doute en partie de la conjoncture économique défavorable de ces dernières années — crise financière et économique, montée du chômage.
Certains couples qui souhaitent avoir un enfant ont retardé sa venue. Si la baisse du chômage se confirme et la confiance dans l’avenir continue de se redresser, il est possible que ces couples réalisent leur désir d’enfant, auquel cas l’indicateur de fécondité cesserait de baisser et pourrait même augmenter de nouveau. Attendons de voir ce que seront les chiffres dans un an.