Jeux olympiques : les transports, première fissure dans le projet de Paris 2024
Jeux olympiques : les transports, première fissure dans le projet de Paris 2024
Par Yann Bouchez, Béatrice Jérôme
Plusieurs lignes de métro sur lesquelles s’appuyaient les organisateurs de Paris 2024 pourraient ne pas être prêtes à temps pour les Jeux.
Le 23 juin 2017 à Paris, lors de la journée internationale olympique. / JEAN-PAUL PELISSIER / REUTERS
L’atout maître va-t-il se transformer en boulet ? En pleine course olympique, entre le printemps 2015 et l’été 2017, les soutiens de Paris 2024 ont souvent mis en avant le dossier des transports, présenté comme bien meilleur que celui de Los Angeles. Mais le sujet des lignes de métro du « Grand Paris Express » prend désormais l’allure d’un futur casse-tête pour les organisateurs.
Mardi 16 janvier, la ministre des transports, Elisabeth Borne, a fait savoir, devant le Sénat, que « le gouvernement présentera[it] dans les prochains jours le calendrier recalé sur des bases réalistes pour tenir les délais et éviter la dérive des coûts ».
Un rapport de la Cour des comptes, présenté mercredi 17 janvier par son premier président, Didier Migaud, devant la commission des finances de l’Assemblée nationale, met en effet un point d’interrogation devant les lignes prévues pour les JO.
Trois lignes « stratégiques »
Le document, long de 175 pages, dresse un bilan sévère des dérapages du chantier du Grand Paris Express, futur réseau de 200 kilomètres de lignes et 68 gares en Ile-de-France d’ici à 2030. Il estime que les délais pour livrer l’ensemble ne seront pas respectés et préconise de revoir l’agenda.
Parmi les raisons des dérives budgétaires de la Société du Grand Paris (SGP), l’établissement public chargé de réaliser ce réseau, la Cour des comptes pointe « l’ambitieux calendrier de mise en service et l’échéance des Jeux olympiques de 2024 ».
Le 9 juillet 2014, alors que Paris n’était pas encore officiellement candidate à l’organisation des Jeux, le gouvernement avait décidé d’accélérer le calendrier concernant la construction de certains pans du Grand Paris Express dans la perspective éventuelle de l’organisation des JO 2024 et de l’exposition universelle en 2025.
Aux journalistes, les membres de la candidature parisienne répétaient d’ailleurs que les Jeux allaient agir comme « un accélérateur de projets », dont ceux concernant les transports, particulièrement dans la Seine-Saint-Denis. Auprès du Comité international olympique (CIO), ils ne se privaient pas d’utiliser la future extension du réseau francilien comme une arme de conviction massive.
« Le volet transport a été l’atout maître pour l’emporter face à Los Angeles », rappelait en septembre Valérie Pécresse, présidente (Les Républicains) de la région Ile-de-France.
« La prolongation de la ligne 14 et les nouvelle lignes 16 et 17 sont stratégiques pour la desserte des sites olympiques », pouvait-on lire dans la première partie du dossier envoyé au CIO. A lire la présentation alors réalisée par le comité de candidature, c’est comme si c’était déjà fait.
Calendrier « quasi inatteignable »
Le rapport de la Cour des comptes montre pourtant que cette accélération volontariste a posé plusieurs problèmes. D’une part, elle a créé « une tension laissant peu de marge pour la survenue d’aléas ». D’autre part, elle a alourdi sensiblement l’addition, car la SGP s’est résolue à mettre en action plusieurs tunneliers supplémentaires. Le surcoût, pour atteindre les objectifs, serait « de l’ordre de 625 millions d’euros, chiffrent les experts de la Cour des comptes, dont 300 millions d’euros ont d’ores et déjà été décidés par le directoire de l’établissement pour les lignes 15 sud et 16 ».
Malgré cette hausse des coûts pour raccourcir les délais, la Cour des comptes estime que « le calendrier de mise en service des lignes 17 et 18 en vue des Jeux olympiques de 2024 est quasi inatteignable ».
Les magistrats financiers révèlent que le gouvernement était, du reste, informé du risque de non-respect du calendrier. Dans une note au premier ministre, en janvier 2017, la SGP l’ avait alerté : les études sur la ligne 17 et 18 font apparaître des dates de mise en service qui ne sont « compatibles ni avec les échéances des JO de juillet 2024, ni avec l’échéance de l’Exposition universelle de 2025 », avait-elle écrit à Edouard Philippe, à moins de mettre en action plus de tunneliers pour terminer à temps. La SGP estimait le coût des tunneliers supplémentaires à 180 à 200 millions d’euros pour la ligne 17 et à 125 millions d’euros pour la ligne 18.
La ligne 17, qui devrait relier Le Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) à Saint-Denis Pleyel, où se trouvera le village des athlètes, est stratégique. Elle doit desservir l’aéroport Charles-de-Gaulle et les sites du Bourget, où sera localisé le village des médias, qui accueillera des milliers de journalistes étrangers.
Or, dans un rapport remis quelques jours après la victoire de la France à Lima, le préfet de l’Ile-de-France, Michel Cadot, suggérait déjà de reporter de 2024 à 2030 la mise en service du tronçon nord de la ligne 17.
Dans ses promesses de ville candidate, Paris assurait que « 85 % des athlètes [seraient] à moins de 30 minutes de leur site de compétition ». Mais cet objectif partait du principe que tous ces travaux seraient terminés.
En l’absence de ligne 17, il faudrait penser à des moyens de transports alternatifs supplémentaires, ce qui engendrerait « un coût très important et une complexité d’organisation très lourde », selon les mots de Tony Estanguet, désormais président du Comité d’organisation des Jeux de Paris 2024 (COJO), dont les statuts seront publiés au Journal officiel samedi 20 janvier. Quitte à modifier certains sites pour prendre en compte cette nouvelle donne, même si Tony Estanguet se veut confiant quant au fait qu’il n’y aura « pas de changement majeur ».
Estanguet : « Cela va être une difficulté forte »
« C’est sûr que pour nous, cela va être une difficulté forte si certaines lignes ne sont pas livrées à temps », a reconnu Tony Estanguet lors d’une audition devant la commission de la culture, de l’éducation et de la communication au Sénat, mercredi. Sollicité, le Comité international olympique n’a pas répondu à nos questions, indiquant juste par son service de communication qu’il était « très pris par les prochains Jeux d’hiver de Pyeongchang ».
Le triple champion olympique de canoë-kayak a conscience du danger. Et il n’a pas attendu le rapport de la Cour des comptes pour cela. Dès octobre 2017, il écrivait à Emmanuel Macron et à Edouard Philippe.
« Je me suis permis de faire savoir au président de la République et au premier ministre combien ce plan de transports était important pour la réussite des Jeux olympiques et paralympiques. Depuis, j’ai pu les rencontrer et on a parlé de ce sujet de vive voix, pour qu’ils comprennent bien nos besoins en matière de transport, en fonction des secteurs. C’est vrai que sur la ligne 17, il y aura un impact direct et la nécessité d’anticiper une réorganisation si d’aventure elle ne desservait pas le pôle du Bourget. »
Le patron du COJO tient toutefois à rappeler que « les arbitrages ne sont pas faits. Il ne faut pas aujourd’hui surréagir sur ce sujet, mais attendre ». Attendre avant de juger, à l’aune des choix qui seront faits, du poids des Jeux olympiques dans les décisions du gouvernement.