Sous pression, le gouvernement éthiopien relâche 115 prisonniers fédéraux
Sous pression, le gouvernement éthiopien relâche 115 prisonniers fédéraux
Par Emeline Wuilbercq (Addis-Abeba, correspondance)
Plongées dans une crise interne, les autorités ont lancé une première vague de libérations, dont Merera Gudina, une figure oromo.
La foule vient acclamer Merera Gudina, le président du Congrès fédéraliste oromo, le 17 janvier, après sa libération. / TIKSA NEGERI / REUTERS
C’était l’effusion de joie, mercredi 17 janvier, à Burayu, à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de la capitale éthiopienne, Addis-Abeba. Après quatre cents jours de détention, le docteur Merera Gudina, l’une des figures de l’opposition, a été accueilli par la foule venue l’acclamer. Quand il l’a vu « de ses propres yeux », le jeune Tiksa (le prénom a été changé) n’a pu contrôler ses émotions. « On ne s’attendait pas du tout à sa libération », confie son ami, Boja, 22 ans, sur la place poussiéreuse où plus d’un millier de personnes exultaient, la veille.
Merera Gudina est le président du Congrès fédéraliste oromo (OFC), un parti d’opposition qui représente les Oromo, la communauté majoritaire du pays, forte de plus de 30 millions d’habitants. Inculpé notamment d’« incitation aux émeutes » et accusé d’avoir fomenté un coup d’Etat, le sexagénaire avait été emprisonné en décembre 2016. Une décision sévèrement critiquée par les organisations de droits de l’homme, qui reprochent à l’Ethiopie de réduire l’opposition au silence. « Ça faisait des mois qu’on réclamait sa sortie de prison », poursuit Tiksa, entouré d’une dizaine de jeunes hommes. Elle fait suite à l’annonce, le 3 janvier, de la libération d’hommes politiques et d’autres personnes emprisonnées dans le but de « créer un consensus national et d’élargir l’espace politique », selon le premier ministre, Hailemariam Desalegn. Plus de 21 000 personnes ont été arrêtées dans le cadre de l’état d’urgence, dont les deux tiers ont été relâchées.
L’Ethiopie a été secouée, en 2015-2016, par une vague de manifestations antigouvernementales réprimées dans le sang. Selon la Commission éthiopienne des droits de l’homme, liée au gouvernement, elles ont fait près d’un millier de morts. Malgré la levée de l’état d’urgence en août 2017, des tensions persistent, notamment à la frontière entre les régions Oromia et Somali, dans l’est du pays, et dans les universités, où le tournant communautaire pris par la contestation a inquiété les chancelleries.
Sous pression, le gouvernement, plongé dans une crise interne, a lancé une première vague de libérations : 115 prisonniers fédéraux ont été relâchés, mercredi 17 janvier, dont Merera Gudina. Au total, les charges à l’encontre de 528 détenus ont été abandonnées, a annoncé, lundi, le procureur général, Getachew Ambaye. Une « task force » censée améliorer le système judiciaire a été créée. Des centaines d’autres prisonniers devraient être libérés dans les prochains mois.
« Prudemment optimistes »
Amnesty International a salué cette décision. « Les autorités éthiopiennes doivent désormais libérer immédiatement et sans condition tous les autres prisonniers d’opinion, y compris ceux qui ont déjà été condamnés », a déclaré, dans un communiqué, Netsanet Belay, directeur de la recherche et du plaidoyer pour l’Afrique. Le gouvernement, lui, affirme qu’il n’y a pas de prisonniers politiques en Ethiopie.
A Burayu, non loin de son tuk-tuk, un tricycle motorisé servant de taxi, un jeune conducteur compte sur ses doigts. Bekele Gerba, Dejene Tafa, Addisu Bulala, liste-t-il. Ces personnalités politiques « doivent aussi sortir de prison ! » « Cette libération est encourageante, mais ce n’est pas encore le moment de faire la fête », lâche un jeune trentenaire. Le nombre de prisonniers relâchés « est insignifiant par rapport au nombre de personnes encore en prison », ajoute Boja, amer.
Dans sa propriété d’un quartier huppé de Burayu, l’opposant Merera Gudina a l’air fatigué. Le gouvernement ouvre-t-il une voie vers plus de démocratie ? « Nous sommes prudemment optimistes », affirme-t-il. De ses conditions de détention, il ne dira rien. « Je vais prendre du repos, puis parler à mon propre groupe [la grande coalition d’opposition Medrek] pour savoir comment poursuivre la lutte. »
Le président de l’OFC a « passé sa carrière à construire des ponts et à se battre pour la démocratie, écrit Mohammed Ademo, le fondateur du site d’information OPride.com, sur le site sud-africain Mail & Guardian. En ce sens, [sa libération] est un pas important vers la guérison nationale dont nous avons grandement besoin. »