Violences sexuelles : vingt-cinq ans d’accusations contre Woody Allen
Violences sexuelles : vingt-cinq ans d’accusations contre Woody Allen
Jeudi, Dylan Farrow, la fille adoptive du réalisateur, l’a de nouveau accusé de l’avoir agressée sexuellement lorsqu’elle avait 7 ans.
Woody Allen est accusé d’avoir agressé sexuellement sa fille adoptive Dylan Farrow le 4 août 1992 dans une maison de campagne, dans le Connecticut. / Evan Agostini / Evan Agostini/Invision/AP
Depuis vingt-cinq ans, des accusations d’agressions sexuelles planent sur le réalisateur américain Woody Allen, portées par sa fille adoptive, Dylan Farrow. Ces derniers jours, plusieurs actrices et acteurs ont dénoncé publiquement le cinéaste, déclarant regretter d’avoir travaillé avec lui. Rebecca Hall et Timothée Chalamet, qui jouent dans le prochain long-métrage de Woody Allen, A Rainy Day in New York, ont annoncé qu’ils allaient faire don de leur salaire à l’association Time’s Up, nouvellement créée, qui vient en aide aux victimes de violences sexuelles.
Ces prises de position font suite à la publication d’une lettre ouverte de Dylan Farrow, aujourd’hui âgée de 32 ans, dans le Los Angeles Times au début du mois de décembre 2017. Elle en appelle au monde du cinéma, demandant pourquoi le mouvement de libération de la parole lancé ces derniers mois contre les violences sexuelles semblait, pour l’instant, épargner son père adoptif.
« Pourquoi Harvey Weinstein [producteur américain accusé d’agressions sexuelles et de viols par de nombreuses femmes] et les autres célébrités accusées ont été exclues de Hollywood, alors qu’Allen a récemment signé un contrat de plusieurs millions de dollars avec Amazon ? »
Elle dénonce l’ambivalence d’acteurs et d’actrices ayant condamné publiquement Harvey Weinstein, mais qui, interrogés sur le réalisateur de Manhattan, Annie Hall et Match Point, esquivent le sujet.
Quelles sont les accusations ?
Woody Allen et l’actrice Mia Farrow ont entretenu une relation amoureuse et professionnelle entre 1980 et 1992. Ensemble, ils ont eu et adopté plusieurs enfants, jusqu’à ce que ce Mia Farrow découvre la relation entre Woody Allen et Soon-Yi Previn, qu’elle avait adoptée avec son compagnon précédent –. Le réalisateur l’a depuis épousée.
Mais le cinéaste est accusé d’avoir agressé sexuellement la fille qu’il avait adoptée avec Mia Farrow, Dylan Farrow, alors qu’elle avait 7 ans, le 4 août 1992 dans une maison de campagne, dans le Connecticut, en l’absence de sa mère. C’est la baby-sitter, qui a aperçu le réalisateur, seul avec l’enfant, qui n’avait plus son pantalon, et a alerté sa mère. La jeune fille a, par la suite, expliqué que son père avait touché son sexe. Des accusations que le cinéaste a toujours réfutées, jusque dans un communiqué envoyé jeudi 18 janvier.
Les accusations portées contre le réalisateur ont été décrites dans une longue enquête de la journaliste Maureen Orth, dans le magazine Vanity Fair, publiée en 1992. Un article qui décrivait, en s’appuyant sur plusieurs sources de la famille Farrow, des comportements déplacés à l’encontre de leur fille adoptive, et débutait ainsi : « Il y avait une règle implicite chez Mia Farrow : Woody Allen ne devait jamais être laissé seul avec leur fille adoptive de 7 ans, Dylan. » Avant l’agression présumée, le réalisateur aurait fait part de son comportement « inapproprié » auprès d’une psychologue pour enfants, Susan Coates, selon Vanity Fair.
Ce n’est que vingt-deux ans plus tard que Dylan Farrow s’est exprimée publiquement sur cette affaire. En 2014, elle a publié une lettre ouverte dans le New York Times pour appuyer les accusations : « Si je ne parle pas, je le regretterai sur mon lit de mort. »
Jeudi 18 janvier, elle s’est exprimée pour la première fois à la télévision sur CBS News, dans une interview enregistrée. Elle est notamment revenue sur son combat et les souffrances qu’elle a endurées. « Pourquoi ne pourrais-je pas être en colère, ressentir de l’indignation, après avoir été ignorée, écartée, et alors que l’on ne m’a pas crue ? », explique-t-elle dans un extrait diffusé par la chaîne.
Dylan Farrow on Woody Allen: "Why shouldn't I want to bring him down?"
Durée : 02:08
Comment Woody Allen s’est défendu ?
L’affaire dramatique et complexe qui entoure Woody Allen depuis vingt-cinq ans est faite d’enquêtes, de contre-enquêtes, et d’accusations de manipulation de toutes parts. En 2014, peu après la première déclaration publique de Dylan Farrow, le réalisateur lui a répondu par une longue lettre ouverte publiée également dans le New York Times.
Accusant Mia Farrow d’avoir manipulé sa fille adoptive et de l’avoir « coachée » pour qu’elle accuse son père, il y nie les faits qui lui sont reprochés et estime que ces accusations sont nées au milieu d’une bataille juridique pour la garde des enfants, lors du très compliqué divorce du couple Allen-Farrow en 1992.
Autre fils adoptif du couple, Moses Farrow a pris la défense de son père en 2014, accusant lui aussi Mia Farrow d’avoir manipulé ses enfants pour les pousser à haïr leur père. « Je ne sais pas si ma sœur croit réellement qu’elle a été agressée ou si elle essaye de faire plaisir à sa mère », assurait-il dans une interview au magazine People. Il y accuse également Mia Farrow de mauvais traitements et explique avoir été frappé à plusieurs reprises pendant son enfance.
Enfin, M. Allen et ses avocats citent régulièrement une expertise rendue à l’époque des faits par la clinique de Yale-New Haven, rédigée par plusieurs praticiens et concluant que Dylan Farrow n’avait pas été abusée sexuellement.
Pourquoi cette défense est contestée ?
Tous les arguments avancés par Woody Allen et son fils sont balayés par Mia Farrow, Dylan Farrow et d’autres observateurs depuis que l’affaire a été relancée. « Ma mère ne m’a jamais manipulée. Elle n’a jamais mis de faux souvenirs dans ma tête », a assuré Dylan Farrow en 2014.
« Mes souvenirs sont à moi. Je m’en souviens. Quand je lui ai raconté mon histoire, elle espérait que je l’avais inventée. Au cours d’une des conversations les plus difficiles que j’ai eue, elle m’a demandé si je disais la vérité, expliquant que papa assurait n’avoir rien fait. Et je lui ai répondu : “Il ment.” »
Lorsque Woody Allen a perdu la procédure judiciaire pour obtenir la garde de ses enfants en 1993, le juge Elliott Wilk n’a pas trouvé de « preuve » crédible soutenant que Mme Farrow aurait manipulé sa fille adoptive et a, par ailleurs, dénoncé le comportement de Woody Allen en tant que père, dans un jugement acide.
Plusieurs membres de la famille Farrow nient également que l’agression ait été inventée pour faire perdre la garde des enfants à Woody Allen et expliquent que ces procédures ont été lancées après l’agression présumée. « En réalité, Allen a lancé les poursuites pour obtenir ma garde et celle de Ronan [son frère adoptif] uniquement après le début de l’enquête sur ses abus. Charmant », assurait récemment Dylan Farrow.
Aucun procès n’a eu lieu, mais le procureur du Connecticut, Frank Maco, avait estimé en 1993 qu’il disposait d’éléments suffisants pour inculper le cinéaste pour agression sexuelle sur sa fille mineure, comme le racontait le New York Times à l’époque. Il avait, cependant, préféré épargner à la jeune Dylan Farrow le traumatisme d’un témoignage public en procès.
Enfin, le jugement rendu par Elliot Wilk en 1993 a estimé que l’expertise de la clinique Yale New Haven, qui a conclu que Dylan Farrow n’avait pas été agressée, n’était pas crédible.
Le silence de Hollywood et la machine médiatique
En 2016, le journaliste et avocat de formation Ronan Farrow (depuis à l’origine de l’une des enquêtes ayant lancé l’affaire Weinstein), fils biologique de Mia Farrow et de Woody Allen, a également pris la parole, alors que son père était appelé à présider la cérémonie du Festival de Cannes, malgré les accusations portées par sa fille adoptive.
Dans une tribune publiée par The Hollywood Reporter, il dénonce le silence des médias, étouffés par une puissante défense élaborée par son père, au moment où sa sœur témoignait publiquement :
« Chaque jour, des collègues dans des rédactions me transféraient des e-mails envoyés par les puissants agents d’Allen (…). Ces e-mails contenaient des arguments prêts à être transformés en articles, avec des propositions de psychothérapeutes, avocats, amis, tous ceux prêts à qualifier une jeune femme s’attaquant à un homme puissant de folle, manipulée et agressive. Au début, ils envoyaient des liens vers des blogs, puis vers des titres réputés, une machine qui s’auto-alimentait. »
Dylan Farrow espère aujourd’hui que l’affaire Weinstein, qui a vu tomber de nombreuses personnalités de Hollywood, accusées de harcèlement sexuel, d’agressions ou de viols, tels que Brett Ratner et Kevin Spacey, permettra de lever un nouveau jour sur son histoire, et sur son père. « Il ment depuis si longtemps. C’est difficile pour moi de le voir et d’entendre sa voix », a-t-elle répété jeudi sur CBS.