Trump : le « shutdown », un camouflet pour un anniversaire
Trump : le « shutdown », un camouflet pour un anniversaire
Par Gilles Paris (Washington, correspondant)
Les administrations fédérales vont être fermées après l’échec, vendredi soir au Sénat, d’un vote sur le financement temporaire de l’Etat.
A Washington, vendredi 19 janvier, l’horloge devant le Sénat sonne minuit, heure à laquelle le « shutdown » est entré en vigueur faute d’accord budgétaire provisoire. / Jose Luis Magana / AP
Donald Trump avait prévu de quitter Washington vendredi pour pouvoir célébrer le lendemain le premier anniversaire de son arrivée à la Maison Blanche en Floride, samedi 20 janvier, dans sa résidence luxueuse de Mar-a-Lago. Un « dîner de la victoire Trump », occasion d’une levée de fonds de campagne pour 2020, était au programme. Une impasse au Congrès l’a empêché de quitter la capitale fédérale. A minuit, le président n’a pu que méditer sur le présent encombrant délivré par le Sénat : un shutdown (« fermeture ») du gouvernement fédéral.
Il se traduira à partir de lundi par la mise au chômage technique sans salaire de plus de 850 000 employés fédéraux considérés comme « non essentiels » au fonctionnement de l’administration. Les activités de nombreuses agences fédérales, comme les services fiscaux, ceux des parcs nationaux, ou la délivrance de passeports, seront réduites. En revanche, les services de sécurité seront relativement épargnés. Les militaires américains poursuivront leurs opérations mais sans toucher leur solde.
« Losers » de démocrates
Le Parti républicain, dont la majorité ne tient qu’à un siège au Sénat, n’a pu en effet obtenir la majorité qualifiée nécessaires (60 voix) pour l’adoption d’une rallonge budgétaire d’un mois déjà votée par la Chambre des représentants. Et ceci, faute d’un accord global sur un projet de budget pour l’année fiscale en cours, repoussé depuis septembre. Seuls quatre démocrates exposés à des réélections difficiles cet automne dans des Etats remportés par Donald Trump en 2016 ont voté en faveur du texte. Mais un nombre identique de républicains, hostiles à une troisième rallonge, s’y est en revanche opposé.
La majorité des démocrates exigeaient en échange des voix nécessaires l’ajout d’un statut définitif pour les sans-papiers arrivés enfants aux Etats-Unis et privés en septembre de la protection décrétée par l’administration de Barack Obama. L’expiration de cette mesure va survenir au début du mois de mars.
La porte-parole du président, Sarah Sanders, a rapidement rejeté la responsabilité de cet échec retentissant sur les démocrates. Dans un communiqué au ton virulent, elle s’en est prise aux sénateurs de l’opposition, baptisant l’impasse du nom du chef de la minorité démocrate, Chuck Schumer (New York). Mme Sanders les a accusé de « prendre en otage » les citoyens américains en raison « d’exigences inconsidérées » concernant des « immigrants illégaux ». Elle a assuré que la Maison Blanche ne rouvrirait les négociations sur ces sans-papiers, également connus sous le nom de « Dreamers », qu’une fois que « les démocrates », qualifiés de « losers », « auront commencé à payer nos forces armées et le personnel de secours ».
Les arguments du camp Trump ont de bonnes chances de porter au sein du camp républicain, mais ils visent aussi à occulter plusieurs faits embarrassants. Aucun président n’a été auparavant mis en difficulté de cette manière en contrôlant les deux chambres du Congrès. Il souligne par ailleurs les limites des capacités de négociateur dont se targue souvent Donald Trump. Alors simple citoyen, il avait assuré lors du dernier shutdown, en 2013, que sa responsabilité devait reposer sur le président, qui était alors le démocrate Barack Obama. En mai 2017, sur son compte Twitter, le président avait enfin vanté les vertus d’« un bon shutdown » pour « mettre de l’ordre dans ce bazar », la mission qu’il jurait d’accomplir.
Au Sénat, Chuck Schumer a d’ailleurs repris cet argument en évoquant à de nombreuses reprises un « Trump shutdown » découlant selon lui du chaos qui prévaut au sein de l’administration. « Même quand le président semble approuver les grandes lignes d’un accord, il ne demande pas à son parti au Congrès de l’accepter », a-t-il assuré.
Signaux contradictoires
Le chef de la minorité démocrate a eu beau jeu de rappeler les propos du président, le 9 janvier, incitant les élus du Congrès à s’entendre sur une « loi d’amour » à propos des « Dreamers ». Deux jours plus tard, le président avait repoussé avec virulence le compromis auquel étaient parvenus des élus des deux camps au Sénat.
La polémique qui a enflé des jours durant à la suite de termes injurieux prêtés ce jour-là à Donald Trump à propos de certains Etats africains – qualifiés de « pays de merde », termes que la Maison Blanche n’avait initialement pas démentis – a contribué à une crise de confiance à l’orgine du blocage de vendredi. Au cours des heures précédentes, même certains républicains ont déploré ouvertement les signaux contradictoires émis par la Maison Blanche sur l’immigration. Un ultime tête-à-tête entre M. Trump et M. Schumer, vendredi en milieu de journée, n’a pas permis la moindre percée.
Des sondages publiés par le Washington Post et la chaîne d’information CNN ont montré qu’une majorité de personnes interrogées incriminaient jusqu’à présent plutôt le Parti républicain et le président pour un éventuel blocage, sans épargner totalement les démocrates. L’enquête de CNN montre que si une écrasante majorité de personnes interrogées (82 %) souhaite une solution pérenne pour les « Dreamers », elle n’en juge pas moins (à 56 % contre 34 %) que la priorité doit être accordée à la continuité de l’Etat, un souci potentiel pour la stratégie de Chuck Schumer.
En campant sur une ligne intransigeante, la Maison Blanche fait le pari qu’un désaveu des démocrates dans l’opinion les contraindra à reculer. Un pari compliqué par la mauvaise image du président auprès d’une majorité d’Américains. D’autant que si le blocage s’installe dans la durée, il risque de n’épargner in fine aucun de ses protagonistes.