Sur France Musique à 11 heures

Marc Perrone / BERTRAND GUAY / AFP

Le dernier album de Marc Perrone s’intitule Babel-Gomme (Buda Musique). A l’occasion de sa sortie, ou celle au prétexte du vivant, Benoît Duteurtre, écrivain subtil, producteur radieux, reçoit Marc Perrone, le 20 janvier, sur France Musique. Marc Perrone, dont il dit « ce poète de l’accordéon diato­nique et poète tout court ». Voir Doisneau, Prévert ou Léa Sempé, l’accordéoniste gasconne qui fut la Nadia Boulanger de Perrone.

Babel-Gomme, poème musical en vingt-cinq pièces, est tricoté de mots de rien du tout, des mots de tous les jours, et des mélodies simples que l’on retient de suite. Une promenade, des textes de Perrone & André Minvielle, le fou rappant, l’exquise Marie-Odile Chantran, des musiciens de luxe venus en passant, Gilles Apap (violon), Jean-Luc Bernard le batteur, Jacques Di Donato et Bernard Lubat, les fidèles sans faille. Plus l’immense Marcel Azzola, le seigneur, dont Duteurtre et Perrone célèbrent la noblesse et l’élégance. Bref, la compagne et les « copains ».

Les copains, ce sont aussi les ­camarades de la Fête de L’Huma, à La Courneuve, sa banlieue, son université, son repère. Personne ne sait parler de la banlieue comme Perrone. Personne ne sait parler de la famille, de l’immigration, de l’Italie, de la cité des 4 000, du travail, des luttes sociales et de l’avenir, comme Perrone. Avec cette lucidité d’amour.

L’image de Babel-Gomme (photo de Gaston) montre Perrone souriant, malicieux, infiniment bon, dandy sans le vouloir : son pull aux trois boutons prend la couleur automne de son accordéon. Ses moustaches d’argent, celle des boutons de l’instrument aux bois précieux (un Castagnari). On voit la musique à l’œil nu. C’est en l’entendant jouer une tarentelle à la Fête de L’Huma que Michel Portal avait dit à Lubat : « Tu vois, Bernard, c’est ça qu’on recherche»

Sous son titre prédestiné – Etonnez-moi, Benoît : Françoise Hardy mise en mots par Modiano –, l’émission de Benoît Duteurtre est une cantilène d’élégance joyeuse et de respect. Autant dire : un sommet d’impertinence et de futurisme.

L’émission consacrée à Perrone, c’est la radio de l’impossible. Pourquoi ? Par performance ? Par exploit ? Non, ce qui domine ce duo radiophonique, c’est le sourire. Le sourire à la radio, le vrai sourire, se voit. La radio s’est fait une sorte de style du rire gras, groin ou grinçant. Elle ne peut rien contre la douceur des voix et le sourire. Le sourire, c’est rarissime. La politesse de l’espoir.

Chansonnettes, musette

Le sourire s’entend. Et pas qu’un peu. Comment ? Par télépathie zygomatique. Comme celui des invités de Duteurtre, tous docteurs ès musiques populaires, chansonnettes en voie de disparition, musette, bêtises en tout genre, avenir du passé simple. Génial rebut du sérieux pompier, des vulgarités, des tragiques troupiers et des universi­taires qui ne sont que ça. Le sourire s’entend par les tripes, les paupières, la vibration des ­lèvres, ce frottis sur les dents, et pour ce genre, Perrone est un client de choix.

Sans doute ne croyez-vous pas à Satan… Malins comme vous êtes… Or, figurez-vous, ça l’arrange ! Inutile de relire Bernanos et de maudire Pialat pour piger. En revanche, si vous avez eu la chance un jour d’entendre ­Perrone, mieux encore, d’être à côté de lui, vous n’aurez aucun mal à croire aux anges. C’est si rare, un ange qui a le génie de la narration et celui des musiques immédiates : ces musiques si faciles à jouer mal… Emerveillement, modestie, simplicité : Perrone. Ah oui : tous les musiciens mentionnés ici ont ceci en commun : ils ont fait, ou font toujours danser. Savoir précieux, harmonie quantique, corps-à-corps des lumières. Danser.

« Etonnez-moi Benoît », sur France Musique, samedi 20 février, à 11 heures