Un an après la chute de Jammeh, les médias gambiens reprennent vie
Un an après la chute de Jammeh, les médias gambiens reprennent vie
Par Amadou Ndiaye (contributeur le Monde Afrique, envoyé spécial à Banjul)
Profitant d’une liberté de ton inédite dans le pays, les journalistes exilés reviennent par dizaines et veulent donner un « souffle nouveau » à la presse.
La rédaction du journal "The Voice" à Serrekunda manque encore cruellement de place pour ses 14 internes et 3 freelances. | Nicolas LEBLANC / item
Après onze ans d’exil au Sénégal, le journaliste gambien Lamine Fatty est de retour au pays en ce lundi 8 janvier 2018. A peine ses valises posées, le voilà qu’il s’empresse d’aller visiter ses confrères de The Voice, un tri hebdo devenu quotidien cette année. Sur place, les poignées de mains succèdent aux accolades, aux étreintes. « Je me sens si heureux de retrouver les confrères. Je sais que tout est à refaire dans ma vie mais je suis prêt à relever le défi », soupire-t-il le regard rempli d’espoir.
Lamine Fatty a été accusé de diffusion de fausses nouvelles en 2006. Préférant éviter une justice aux ordres, il a quitté la Gambie. Comme lui, 110 journalistes ont été contraints de fuir la répression du régime de Yahya Jammeh (1994-2017), révèle un rapport publié en 2016 par l’organisation pour la liberté d’expression Article 19. Une an après la chute du dictateur, le retour est massif. « Depuis le départ de Jammeh nous avons répertorié le retour d’une trentaine de journalistes », confie Saikou Jammeh, secrétaire général de la Gambia Press Union (GPU), principal syndicat des journalistes du pays.
Revaloriser le métier
Dans son bureau du journal The Point, dans le quartier Fajara, le rédacteur en chef Baba Hydara est de retour après treize années d’exil aux Etats-Unis, puis à Londres. Alors que son quotidien doit installer ses bureaux en février prochain à Serrekunda, près de la capitale, il livre ses ambitions pour l’avenir : « Nous allons redonner à la presse gambienne un souffle nouveau, en embrassant des genres journalistiques presque morts au temps de la dictature, comme l’enquête. »
Pour parvenir à ses objectifs, l’homme de média, âgé de 42 ans, souhaite s’inscrire dans la succession de son père. Baba est le fils du journaliste d’investigation Deyda Hydara, co-fondateur du journal The Point, correspondant de l’Agence France-Presse en Gambie, assassiné le 16 décembre 2004 et dont le crime reste encore impuni. « Il faut placer le journalisme gambien au cœur du développement, comme le faisait mon père. Il nous faut une presse responsable qui s’érige en sentinelle pour éviter, dans l’avenir, l’installation d’un régime comme celui de Jammeh », martèle le journaliste, parti du pays avec ses frères et sœurs un mois après l’assassinat de leur père.
Les lois de Jammeh toujours en vigueur
L’assassinat de Deyda Hydara avait ouvert une période de répression de la presse gambienne avec son lot d’arrestations, de tortures et de lois coercitives.
Revenu d’exil il y a six mois et recruté à la télévision gambienne, Sainy Marenha souhaite, tout comme ses confrères, que les lois sur la presse du temps de la dictature soient révoquées sans délai. « L’actuel régime doit agir et très vite, il n’est plus question que ces lois continuent d’exister », peste le journaliste.
Depuis janvier 2018, le journal "The Voice" est passé de trois éditions par semaine à cinq, signe d'un appétit nouveau pour l'information. | Nicolas LEBLANC / item
Au ministère de l’information, immeuble qui abrite aussi la radio et télévision nationale gambienne (GRTS), le ministre Demba Jawo mesure l’ampleur du travail à accomplir et assure qu’un comité de réforme des médias a été mis en place pour faire le tri dans toutes les lois liberticides. Ce comité, qui regroupe entre autres les techniciens du ministère, des membres du syndicat de journalistes, les éditeurs de presse, des agents de la société civile et du ministère de la justice, devait statuer à partir du 20 janvier 2018 sur les nouveaux contours juridiques encadrant le secteur de l’information.
Bacary Ceesay, jeune rédacteur en chef du quotidien The Voice, espère que cette réforme permettra d’augmenter les salaires des reporters gambiens. Un journaliste en début de carrière perçoit environ 2 000 Dalasis par mois (environ 40 euros).
Nouvelle chaîne de télévision privée
Le départ de Yahya Jammeh a permis de voir surgir une liberté de ton nouvelle dans les médias. La GRTS a perdu son monopole sur l’information, au profit des seize radios commerciales et communautaires du pays qui jadis ne diffusaient que de la musique.
C’est dans ce contexte que la télévision QTV a fait son entrée dans le paysage médiatique. Lancée par l’entrepreneur gambien Muhammed Jah, par ailleurs, manageur de la société de téléphonie Qcell, la chaîne satellitaire démarre ses programmes début février 2018 et rêve de partir à l’assaut de la région, de l’Afrique et du monde. « Nous avons senti la nécessité de doter la Gambie d’une chaîne de télévision internationale pour donner une belle image du pays à travers un média fort », explique M. Jah. QTV est pilotée par Fatou Jaw Manneh, 49 ans, une journaliste qui a croisé le fer avec le régime de Yahya Jammeh avant de s’envoler en exil aux Etats-Unis, il y a 20 ans. Puis de revenir en Gambie.