Le « relou » et les « femmes géniales »
Le « relou » et les « femmes géniales »
Par Charlotte Herzog
Le 20 janvier, à Londres, une journaliste a raconté sur Twitter comment une autre femme lui a permis de se défaire d’un homme trop entreprenant. Un tweet vite devenu viral.
Une banderole sur laquelle on peut lire « Les femmes, unies, jamais ne seront vaincues ! », le 20 janvier. / FILIPPO MONTEFORTE / AFP
« Liberté, égalité, sororité » : c’est ainsi que Ségolène Royale, alors candidate socialiste à l’élection présidentielle en 2007, avait rebaptisé la formule républicaine, lors de son discours prononcé à la veille de la journée internationale des femmes. Ce réveil sororal a également résonné fort lors du discours salutaire et engagé d’Oprah Winfrey aux Golden Globes. Entre ses vibrantes lignes, elle intimait de placer la sororité au cœur du nouveau combat féministe. C’est précisément cette voie qu’a empruntée l’histoire d’Amna Saleem, journaliste écossaise auteure d’un tweet qui a mis à l’honneur la solidarité féminine.
Le 20 janvier, cette jeune femme, originaire de Glasgow, a raconté un petit bout de sa soirée dans l’un de ses bars préférés, à Londres : une autre femme, qu’elle ne connaissait pas, lui a permis de se sortir d’une situation pénible – et bien connue – avec un homme lourd qui n’a pas compris ce que « non » voulait dire.
Ce tweet d’un peu plus de deux cents signes, conclu par un « Women are great » (« les femmes sont géniales »), est très vite devenu viral. Car, dans cette histoire pénible et banale, des milliers de femmes se sont reconnues, réagissant en y ajoutant leurs propres mésaventures et leurs confrontations à diverses lourdeurs commises à leur égard par des hommes (des hommes, pas les hommes).
« Il m’a collée toute la soirée »
Il y a eu celle qui ne savait plus vraiment quoi faire :
« Un soir dans un bar, j’ai demandé à un mec de laisser ma copine tranquille. Après je me suis sentie un peu mal de lui avoir dit ça (ce qui était ridicule, puisque j’avais été polie). Du coup, je lui ai offert une bière en lui disant que je ne voulais pas l’offenser. Il m’a collée toute la soirée. C’était bizarre. Je me suis dit : “Okay, s’il me paie un verre, il me colle toute la soirée. Et si je lui paie un verre, il me colle toute la soirée. Très bizarre”. »
Il y a également eu celle qui a essayé d’inverser les rôles, pour voir :
« Je ne comprends pas pourquoi un non n’est pas suffisant. Pourquoi tu voudrais “convaincre” quelqu’un d’être avec toi plutôt que de préférer un vrai oui enthousiaste ? Je détesterais être ce genre de personne qui prétend ne pas remarquer que quelqu’un ne veut pas de ma compagnie. Moi, quand je drague, je veux un vrai putain de oui. Pas un “mmh oui”. »
Il y a encore eu celle qui a tenté un #TraduisonsLes :
« Comment ? Ton propriétaire te laisse sortir dehors sans être accompagnée ? Ce n’est pas réglementaire au “code des hommes”. »
Des réactions d’hommes
Les hommes n’ont pas été en reste pour réagir. Le premier d’entre eux est venu glaner quelques conseils pour bien faire : comment pouvaient-ils (les hommes) intervenir, eux aussi, dans le cas où ils seraient témoins d’une telle situation, sans que cela ne soit mal interprété par le grossier personnage en action, et que la mise au point ne tourne à la bagarre ?
Puis un autre a eu envie de raconter un peu ce qui lui était arrivé :
« Un jour, dans un bus, j’ai remarqué qu’une femme lisait le même livre que moi. Je voulais aller la voir, pour lui dire “hey ! Il est cool ce livre, non ?” Et puis je me suis ravisé en me disant que, peut-être, je lui foutrais les jetons. »
En réponse, il a été exhorté à surtout prendre en considération la réaction de la femme à qui il s’adresse : comprendre les mots, le ton, le regard, rien de bien sorcier finalement.
Un autre homme a pris part à ce grand rassemblement en rappelant que « tous les hommes ne sont pas des pervers », qu’il y en a beaucoup de « bons », qui agiront aussi pour faire « bouger la société dans le sens du respect, de l’empathie et de l’égalité ».
Mettre en lumière la sororité
Sous le tweet initial s’est ainsi instauré un véritable débat. Certes loin d’être nouveau – il a déjà eu lieu un million de fois. Mais décemment mené et entretenu. Tour à tour par des hommes et des femmes.
Les premiers ont pu dire qu’ils se sentaient injustement visés :
« Je trouve ça cool, cette solidarité entre femmes, mais d’un point de vue masculin, ça sonne trop souvent comme une critique envers les hommes plutôt qu’un éloge des femmes. Et ce genre d’histoire pose le sexe masculin comme un problème en général, alors que ça ne devrait pas. »
En face, des femmes ont usé de patience et de pédagogie pour expliquer encore et encore ce qu’était le harcèlement ou la sororité, « pour qu’un jour elles n’aient plus à le faire ». L’une d’elle a osé une comparaison :
« Je déteste les hommes qui ne comprennent pas la définition de “non”. Ils la comprennent quand c’est leur boss ou un flic qui leur dit. C’est juste qu’ils ne la prennent pas en considération quand ça vient d’une femme. »
Une autre a tenté une métaphore :
« Imagine si à chaque fois que quelqu’un dit “les librairies sont géniales, soutenez votre librairie de quartier”, quelqu’un d’autre intervient en disant “pour être honnête, tous les autres magasins aussi sont géniaux”. Tous les magasins sont peut-être géniaux, mais l’éloge de départ ne les concernait pas. »
Mais, rappelons-le, dans l’histoire initiale, il n’était pas question d’attaquer les hommes, mais juste de mettre en lumière la sororité.
« “Les femmes sont géniales” est une phrase qui se suffit à elle-même. Nul besoin d’impliquer les hommes. Célébrons la sororité, point. »
« “Women are great” est une phrase qui n’avait pas besoin d’être rééquilibrée. Elle peut exister toute seule. Personne n’a dit que les hommes étaient des merdes et qu’ils ne nous aidaient jamais. C’était juste une histoire sur une femme qui est géniale. »
« Pour une fois, j’aurais bien aimé lire la réponse d’un mec qui aurait juste dit : “Oui, c’est vrai que les femmes sont géniales. C’est merveilleux que vous soyez solidaires entre vous. Désolé que les mecs soient des trous du cul”. »
L’histoire du tweet d’Amna Saleem a également fait jaillir des questions et des réflexions aussi absurdes (« Mais pourquoi lisiez-vous un livre dans un bar ? »), qu’un tantinet agaçantes (« Pourquoi ne lui avez-vous pas dit simplement d’aller se faire voir ? »). Celles-ci ne font qu’augmenter la nécessité de continuer à être solidaires, combatives et patientes, comme le souhaite Amna dans un article qu’elle a publié trois jours après son tweet.
Mais cette histoire, c’est aussi celle de femmes qui ont raconté comment des hommes avaient été géniaux avec elles, même si le fait de dire que les femmes sont géniales, n’a pas besoin d’être rapporté au fait que les hommes le sont aussi.