Prisons : « Il est normal que l’on paye notre dette à la société, mais dans ces conditions, c’est abusé »
Prisons : « Il est normal que l’on paye notre dette à la société, mais dans ces conditions, c’est abusé »
Par Feriel Alouti
Alors que le mouvement de blocage est entré dans sa douzième journée, vendredi, proches et détenus expliquent les conséquences de la grève sur leur quotidien.
Après presque deux semaines sans parloir, Lydia Trouvé vit « dans le stress » et ne dort « plus beaucoup ». « Je ne sais même pas quand je vais voir mon fils », dit-elle, alors qu’elle a l’habitude de se rendre une fois par semaine au centre de détention de Châteaudun (Eure-et-Loir) où il est incarcéré. Alors que le mouvement de blocage des prisons par les gardiens est entré dans sa douzième journée, vendredi 26 janvier, les personnes détenues et leurs proches subissent directement les conséquences du mouvement.
Depuis quelques jours, leurs témoignages, publiés dans la presse ou relayés par l’Observatoire international des prisons (OIP), se multiplient et font tous état de la même situation : absence de parloir, douches et promenades limitées, voire suspendues, suppression des activités, sans parler de l’inquiétude de voir la situation « exploser ».
« Les détenus sont comme des lions en cage », prévient Lydia Trouvé, présidente du syndicat Pour la protection et le respect des prisonniers (PPRP), créé en décembre 2017 par des proches de détenus.
« Certaines familles qui ont eu des nouvelles de leurs proches, disent qu’à l’intérieur, les esprits s’échauffent, et que certains détenus sont prêts à aller au clash avec le peu de surveillants qu’il y a. »
Contrairement à de nombreuses familles, Adeline Billotet, vice-présidente du PPRP, a pu accéder, lundi 22 janvier, à une Unité de vie familiale (UVF), ces appartements dans lesquels les détenus peuvent recevoir leur famille. Mais, pour cela, il a fallu qu’elle attende « cinq heures sur le parking de l’établissement avec un bébé de 18 mois, dans le froid », après avoir parcouru les 670 kilomètres qui la séparent de la maison centrale de Condé-sur-Sarthe (Orne), où son conjoint est détenu.
« Quand ils ont refusé de m’ouvrir, je leur ai dit que c’était mon seul moment en famille, et que je ne bougerai pas », raconte Adeline Billotet qui a depuis décidé, en accord avec son avocate, de déposer une plainte pour « traitement inhumain ».
« Pas de travail, pas de cantine »
Au centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure, dans l’Allier, un détenu a également décidé de s’en remettre à la justice après avoir saisi, mercredi, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand pour dénoncer « les violations » de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans le référé, son avocat évoque pêle-mêle l’absence « depuis neuf jours » de douches, de promenades, ou encore, d’activités.
Mais le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté, vendredi, ce recours. « On sait que le référé-liberté c’est toujours très compliqué. Mais ce qui est positif, c’est que comme par hasard depuis le recours, la cantine a été réactivée et les détenus n’ont plus de problème de douche », a expliqué à l’AFP l’avocat du détenu, Me Sylvain Gauché.
Joint, jeudi soir, sur un téléphone portable, Maurice*, âgé de 20 ans, expliquait pour sa part que la situation pouvait « déraper à tout moment ». Depuis plusieurs jours, le jeune homme, incarcéré dans un centre de détention, n’a « pas de promenade, pas de travail, pas de cantine », ce service qui permet d’acheter du tabac, ainsi que des produits alimentaires et d’hygiène, ni « le droit de laver [son] linge », alors que son bâtiment, qui compte 120 détenus, était toujours surveillé par deux agents.
« Il n’y a aucun mouvement dans l’établissement. Et même quand on sonne à l’interphone, personne ne répond. »
Pour s’opposer à cette situation, le jeune homme a expliqué, au Monde, avoir entamé « depuis deux jours » une grève de la faim. La tension serait, par ailleurs, telle dans son établissement qu’un détenu a « craqué et cramé sa cellule ».
« Une vraie prise d’otage »
Dans la maison d’arrêt de Kévin*, des détenus « plus jeunes » ont aussi « tout cassé dans leur cellule ». Agé de 33 ans, l’homme a le sentiment de faire face à « une vraie prise d’otage ». « Je n’ai jamais vu ça de ma vie alors que j’en ai fait, de la prison », racontait-il vendredi matin, avant que le syndicat majoritaire UFAP-UNSA annonce son intention de signer l’accord proposé jeudi par la ministre de la justice, Nicole Belloubet.
Après un pic atteint mercredi et jeudi, l’intensité du mouvement a baissé dès vendredi matin. A 12 h 30, seule une vingtaine d’établissements sur 188 étaient encore affectés par un manque de personnel. Ainsi, dans la maison d’arrêt de Kévin, vendredi matin, « pratiquement tous les surveillants » avaient repris le travail. Désormais sur sa fin, le mouvement marquera certainement les esprits. « Il est normal que l’on paye notre dette à la société, mais dans ces conditions, c’est abusé. »
* Afin de conserver l’anonymat des détenus, leur prénom a été modifié.