Le Mexique a connu son année la plus meurtrière en vingt ans
Le Mexique a connu son année la plus meurtrière en vingt ans
Par Frédéric Saliba (Mexico, correspondance)
Les trois quarts des 25 000 homicides de 2017 sont liés au crime organisé.
Une voiture où ont été trouvés trois corps calcinés, à Acapulco, le 25 janvier. / FRANCISCO ROBLES / AFP
Têtes coupées, maires assassinés, fusillades en pleine rue… Le Mexique sombre dans la violence des cartels de la drogue alors que 2017 a été l’année la plus meurtrière depuis vingt ans, avec 25 339 homicides recensés, soit plus de 69 par jour. L’incapacité du gouvernement à enrayer l’hécatombe remet en cause sa stratégie sécuritaire. A cinq mois du scrutin présidentiel du 1er juillet, les candidats se saisissent du débat face à des électeurs terrorisés.
Jeudi 25 janvier, le record macabre a été décroché par l’Etat de Guerrero (ouest) avec 14 homicides, deux corps calcinés et une tête coupée. La veille, dans la ville de Nuevo Laredo (Etat de Tamaulipas, nord-est), l’inauguration d’une fresque a été interrompue par une fusillade entre des criminels et des militaires qui n’a pas fait de victime. Le même jour, un conseiller municipal et un homme d’affaires étaient criblés de balles à Celaya et à Leon, dans l’Etat de Guanajuato (centre).
Depuis quelques jours, une ambiance de psychose plane sur la ville de Reynosa dans l’Etat de Tamaulipas. Une dizaine de rues ont été bloquées, mercredi, par des bus et des pneus incendiés, après deux jours d’affrontements entre le crime organisé et l’armée qui ont fait neuf morts, dont un militaire. Le lendemain, les écoles et les rues étaient désertés. Les trois quarts des Mexicains ne se sentent pas en sécurité, selon l’Institut national des statistiques. Ce taux atteint 95 % à Reynosa.
L’observatoire citoyen Semaforo Delictivo a révélé que 75 % des meurtres comptabilisés en 2017 par les autorités étaient liés au crime organisé – soit 18 989 morts, en hausse de 55 % en un an. La spirale sanguinaire a débuté fin 2006, quand l’ancien président Felipe Calderon (2006-2012) a déployé 50 000 militaires pour combattre le narcotrafic, mettant le feu aux poudres. Son successeur, Enrique Peña Nieto (2012-2018), a poursuivi cette stratégie pour pallier les manques de la police, infiltrée par le crime organisé. Si le nombre de meurtres a d’abord baissé de 2012 à 2014 (de 14 887 à 8 004), il redécolle en flèche depuis 2015. Aujourd’hui, les homicides atteignent un taux inégalé de 21 pour 100 000 habitants.
« Effet cafard »
« Ce boom reflète l’échec total de la stratégie du gouvernement », a alerté Santiago Roel, le directeur de Semaforo Delictivo, en précisant que la violence s’est répandue aux quatre coins du pays. En 2017, les crimes ont bondi dans 26 des 32 Etats mexicains, frappant les stations balnéaires de Los Cabos, en Basse-Californie (nord-ouest), et de Cancun, dans le Quintana Roo (sud-est), autrefois épargnées. Les spécialistes du crime organisé parlent d’« effet cafard ». À l’image de l’insecte qui, chassé d’une maison, se réfugie dans les demeures voisines, les cartels se déplacent et étendent leurs activités aux vols (+ 29 % en un an), aux extorsions (+ 11 %) ou aux enlèvements (+ 2 %), selon Semaforo Delictivo.
Si le gouvernement a affiché de belles prises, dont celle en 2016 de Joaquin « El Chapo » Guzman, le chef du puissant cartel de Sinaloa, ces arrestations provoquent des guerres de succession au sein des mafias, qui se fragmentent en gangs concurrents. « Il est urgent que les autorités civiles récupèrent le contrôle de la sécurité publique », a martelé, mercredi, Luis Raul Gonzalez, le directeur de la Commission mexicaine des droits de l’homme (CNDH) devant les parlementaires. Ces derniers ont pourtant voté, en décembre 2017, une loi de sécurité intérieure qui pérennise la présence de l’armée dans les rues. La CNDH a déposé un recours devant la Cour suprême. Entre 2016 et 2017, les plaintes déposées auprès de la CNDH contre des soldats sont passées de 4 199 à 6 917.
L’Association mexicaine des maires dénombre 23 édiles assassinés depuis cinq ans. De nombreux élus et candidats locaux sont menacés ou tués par les cartels quand ils refusent de protéger leurs trafics. Le phénomène semble empirer. Entre décembre et début janvier, 14 hommes politiques de tous bords ont été assassinés, selon un décompte de la presse.