Djibrill Bassolé : « Fuir le Burkina serait un aveu de culpabilité »
Djibrill Bassolé : « Fuir le Burkina serait un aveu de culpabilité »
Propos recueillis par Morgane Le Cam (Ouagadougou, correspondance)
Insurrection populaire, putsch manqué, terrorisme : l’ex-chef de la diplomatie de Blaise Compaoré revient en exclusivité sur sa détention et l’histoire mouvementée du pays.
Djibrill Bassolé fut l’un des piliers du régime de Blaise Compaoré, l’un de ceux qui ont façonné l’histoire récente du Burkina Faso et en connaît les moindres secrets. A commencer par l’insurrection populaire d’octobre 2014 suite à laquelle le pouvoir, dont il était le chef de la diplomatie, fut balayé. A l’instar des 31 autres membres de ce gouvernement, il est aujourd’hui inculpé de « complicité d’assassinats et de complicité de coups et blessures volontaires ».
Mais le plus gros mystère à lever n’est pas là. Au lendemain de ce qui fut qualifié de « coup d’Etat le plus bête du monde », dirigé en septembre 2015 par le général Gilbert Diendéré contre les autorités de transition de Michel Kafando, Djibrill Bassolé est sorti malgré lui des oubliettes. Un enregistrement diffusé sur les réseaux sociaux le mit au cœur d’un scandale qui agita la région : les présumées écoutes entre lui et Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale ivoirienne. Les deux amis de longue date se sont-ils vraiment téléphoné pour élaborer une tactique visant à sortir le putsch de l’impasse ?
Djibrill Bassolé a l’art de dire sans révéler. Une rhétorique de diplomate que cet officier de gendarmerie maîtrise parfaitement. Lorsque l’homme était au chevet des crises de la région, il avait ses entrées partout, auprès des diplomates étrangers comme des groupes armés. Côte d’Ivoire, Darfour, Mali… M. Bassolé est rompu à l’art de la négociation.
Mais, depuis le putsch manqué, affaire qui lui vaut une autre inculpation, Djibrill Bassolé a été mis aux arrêts, puis placé en résidence surveillée. Depuis sa prison dorée de Ouagadougou, l’ex-ministre voit les visiteurs défiler mais s’exprime rarement en public. Du scandale des écoutes en passant par l’insurrection populaire, la présumée collusion entre l’ancien régime et les groupes djihadistes, son état de santé ou encore sa détention… le général rompt le silence dans le cadre d’un entretien accordé en exclusivité au Monde Afrique.
Vous réclamez votre mise en liberté provisoire depuis plus de deux ans. Vous l’avez obtenue en octobre 2017 assortie d’une assignation à résidence surveillée. Etes-vous satisfait ?
Djibrill Bassolé Je suis satisfait de l’arrêt de mise en liberté provisoire (…) C’était une décision courageuse. Mais voilà que le gouvernement, qui s’est toujours opposé à mes demandes de mise en liberté, a demandé que je sois placé en résidence surveillée. Il m’a assigné dans un endroit autre que mon domicile et qui n’est pas de mon choix. C’est une nouvelle détention, cette fois-ci ordonnée par le gouvernement. Ce que je dénonce ici, c’est le fait que l’exécutif, malgré la séparation des pouvoirs, se donne le droit de prendre des dispositions contraires à une décision de justice, surtout en matière de liberté.
Le motif principal de votre demande de mise en liberté provisoire était votre mauvais état de santé nécessitant des soins à l’étranger. Comment vous portez-vous ?
Il y a toujours cette anomalie que les médecins ont détectée sur mon électrocardiogramme et sur laquelle il est impératif d’être fixé le plus tôt possible. Si je n’avais pas été assigné en résidence surveillée, j’aurais pu me rendre à Paris, où les rendez-vous étaient pris avec les médecins de l’Hôpital américain. A présent, je ne peux que prendre mon mal en patience (…) Ce que je crains, c’est un AVC ou une complication cardiaque.
Partir vous faire soigner à l’étranger n’est-il pas un moyen de fuir la justice ?
Il suffit d’examiner mon dossier médical ! Un collège de médecins commis par le juge d’instruction a abouti aux mêmes conclusions que mon médecin traitant. Je n’ai aucun intérêt à fuir mon pays ou un procès. Fuir serait un aveu de culpabilité (…) En tant qu’homme politique, je préfère de loin m’expliquer au cours d’un procès public afin que l’opinion se rende compte que le dossier est vide et que ma détention est arbitraire et politique.
Avez-vous confiance en la justice de votre pays ?
Je suis un légaliste, mais dans le cas de la procédure en cours me concernant, j’ai de très sérieuses raisons de croire que le tribunal militaire de Ouagadougou n’est pas digne de confiance. (…) Cependant, malgré les décisions iniques et les violations flagrantes de mes droits fondamentaux, je ne m’écarterais pas du droit et des règles de procédure, jusqu’au bout. Le peuple se fera son opinion.
Vous semblez faire peur au pouvoir en place. Pourquoi ?
Je ne fais rien pour faire peur (Rires). Le pouvoir en place est mieux placé pour s’expliquer. Ceci dit, il semble évident que le pouvoir de la transition et le pouvoir en place ont tout mis en œuvre pour ne pas me voir prendre part aux compétitions électorales à travers l’adoption d’une loi d’exclusion et une détention manifestement politique. Le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a enjoint le gouvernement burkinabé de mettre fin immédiatement à ma détention, qu’il a jugée arbitraire. Mais le gouvernement s’obstine.
Vous êtes inculpé dans le dossier du putsch manqué de septembre 2015 - dont le procès s’ouvrira le 27 février. La justice se base-t-elle uniquement sur les écoutes avec Guillaume Soro ?
S’il y avait autre chose, je suis persuadé que vous l’auriez su ! Nous aurons l’occasion de démontrer qu’il n’y a aucun élément constitutif d’infraction et que la cause réelle de cette cabale judiciaire, à travers la justice militaire, est politique.
Cette discussion avec M. Soro a-t-elle eu lieu ?
Soyez patiente, vous en saurez davantage lorsque j’aurai l’occasion de m’expliquer.
Quel rôle avez-vous joué lors de ce putsch manqué ? Certains vous désignent comme le cerveau des opérations…
Le cerveau, certainement pas (…) Ce que je peux dire, c’est qu’après le putsch je me suis impliqué dans la recherche d’une sortie de crise. J’ai eu de nombreux entretiens téléphoniques avec des personnalités, dont le président sénégalais Macky Sall, qui était le président en exercice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest [Cédéao]. C’est d’ailleurs à la suite de cet entretien qu’il s’est rendu à Ouagadougou en compagnie du médiateur désigné, le président béninois Boni Yayi.
Depuis la « loi d’exclusion » votée en avril 2015, vous n’aviez plus la possibilité de vous présenter à la présidentielle qui devait avoir lieu en octobre suivant. Si le coup d’Etat avait réussi, n’en auriez-vous pas été l’un des principaux bénéficiaires ?
La médiation de la Cédéao aurait très probablement abouti à un accord politique pour l’organisation d’élections inclusives. Dans ces conditions, oui, j’aurais pu me présenter, sur la base d’un consensus politique. Mais je n’attendais pas un putsch pour pouvoir le faire !
Que saviez-vous des préparatifs du coup d’Etat et de l’implication de la présidence ivoirienne, comme le dit l’enquête du juge burkinabé ?
Je n’en sais strictement rien (…) Je n’ai joué aucun rôle, ni de conception, ni de préparation, ni d’exécution.
Vous avez été inculpé dans l’enquête sur la répression de l’insurrection d’octobre 2014, du fait de votre présence au conseil des ministres du 29 octobre. Que s’y est-il passé ?
Le ministre de la sécurité a fait un compte rendu des activités de maintien de l’ordre de la veille et des préparatifs pour le lendemain, car l’ordre public s’annonçait troublé. La réquisition complémentaire spéciale [autorisant l’armée à intervenir] n’a pas été discutée et adoptée lors de ce conseil. Elle a été préparée et proposée à la signature du premier ministre le soir du 29.
Trente-trois Burkinabés ont été tués, et plus de 625 personnes blessées lors de ces opérations de maintien de l’ordre…
Nous déplorons tous les morts qu’il y a eus. A ma connaissance, les forces de l’ordre régulièrement requises n’ont pas fait usage de leurs armes. La cause des morts et des blessés est selon moi à rechercher ailleurs. (…) Notre gouvernement n’avait pas intérêt à ce qu’il y ait une confrontation violente et la mort d’hommes. Nous avions plutôt intérêt à ce que les choses se déroulent convenablement.
Quel rôle avez-vous joué lors de l’insurrection ?
Je suis officier général de gendarmerie mais, au moment des faits, j’étais ministre des affaires étrangères et, en tant que tel, je n’avais pas de rôle particulier à jouer. Compte tenu de la situation insurrectionnelle qui prévalait, j’ai, en liaison avec les officiers du commandement, veillé à ce que les choses se passent au mieux et que le rétablissement et le maintien de l’ordre public s’effectuent dans le respect des règles et des droits humains.
Le peuple a manifesté pour empêcher la modification de l’article 37, qui visait à déverrouiller le nombre de mandats présidentiels. Trois ans plus tard, êtes-vous toujours convaincu qu’il fallait le modifier ?
Je n’en ai jamais été convaincu. (…) Je savais que modifier l’article 37 allait entraîner des complications. Mais la décision ne me revenait pas personnellement. J’ai appartenu à un régime, à un gouvernement dont je reste solidaire.
Dans une interview accordée à TV5 Monde, RFI et Le Monde, le président Kaboré a dénoncé une « collusion » entre l’ancien régime et les groupes djihadistes. Qu’en pensez-vous ?
Je réfute complètement les analyses qui tendent à faire croire que c’est parce qu’il y avait des deals secrets entre le régime de Blaise Compaoré et les terroristes que le Burkina était en sécurité. (…) Les nombreux contacts que nous avons eus avec les groupes armés entraient dans le cadre de la libération des otages occidentaux à la demande de leur pays d’origine d’une part, et d’autre part se justifiaient par la mission que nous avait assignée la Cédéao, à savoir la cessation des hostilités et la réunification du territoire malien.
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Des photos de vous ou encore de Moustapha Chafi, ex-conseiller spécial de Blaise Compaoré, en compagnie de chefs d’Al-Qaida, ont circulé sur les réseaux sociaux. Cela ne montre-t-il pas une certaine accointance ?
A ma connaissance, Moustapha Chafi a, dans le cadre des négociations de libération d’otages, pris des contacts qui ont fort heureusement abouti. C’était une entreprise humanitaire louable. Je ne crois pas qu’on puisse parler d’accointance. Quant à moi, j’ai rencontré Iyad Ag-Ghali à Kidal dans le cadre de la médiation de la Cédéao. Il était le patron du mouvement Ansar Eddine, signataire de l’accord de Ouagadougou. Notre préoccupation était que la destruction des mausolées de Tombouctou prenne fin, que les groupes armés s’abstiennent d’actions terroristes et que les élections puissent se tenir sur toute l’étendue du territoire malien.
Peut-on parler de pacte de non-agression entre le régime de Blaise Compaoré et les groupes armés ?
Non ! Jamais, de toute mon expérience, ni officiellement, ni officieusement, nous n’avons passé d’accords de non-agression. Ça n’a jamais existé. Je vous signale que le Burkina n’était pas le seul pays d’Afrique de l’Ouest à ne pas être agressé. Je pense que c’est notre capacité à anticiper, à prévenir et à dissuader qui a protégé le Burkina Faso.
Trois ans après la chute de Blaise Compaoré, les appels pour son retour au Burkina se font plus pressants et son parti gagne du terrain. Comment l’analysez-vous ?
Il y a certainement une part de nostalgie. Aujourd’hui, bon nombre de Burkinabés regrettent ce passé où le pays était un havre de paix. Malgré les difficultés sociales et économiques, les opportunités d’emploi pour la jeunesse étaient plus importantes.
Comment envisagez-vous votre avenir ?
Pour l’instant, ma préoccupation est d’accéder à mes soins de santé et d’en finir avec cette cabale judiciaire. Je tiens évidemment à en sortir indemne. Après, on avisera.
Si c’était le cas, serez-vous candidat à l’élection de 2020 ?
2020 est encore loin. Mais il est évident que j’ai de l’énergie pour servir mon pays, ma sous-région, l’Afrique. Je trouverai les moyens de me rendre utile et de mettre mon expérience au service des jeunes générations.