Qu’apprend-on vraiment en classe prépa ?
Qu’apprend-on vraiment en classe prépa ?
Par Séverin Graveleau
Au-delà de la réussite aux concours, quelles compétences et qualités développent les étudiants lors de leurs années classe préparatoire aux grandes écoles ? Tour d’horizon.
Photo d’illustration - Baccalauréat 2012 / REUTERS/Vincent Kessler
La valeur des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) se mesure-t-elle seulement à l’aune de la réussite de leurs étudiants aux concours des écoles d’ingénieurs et de commerce, d’études vétérinaires ou militaires, à Normale-Sup ou à l’Ecole des chartes ? La question est tranchée négativement depuis longtemps, au regard des beaux parcours des élèves qui intègrent finalement d’autres formations (universités, instituts de sciences politiques, etc.). Loin de l’image d’une formation pluricentenaire immuable où l’excellence disciplinaire se suffirait à elle-même, « taupins », khâgneux et autres « épiciers » y acquièrent des qualités ou compétences plus larges, à même de leur servir dans la suite de leur parcours d’études, dans une grande école ou ailleurs.
Une dimension primordiale selon Martine Breyton, proviseure du lycée parisien Henri IV, dans la mesure où, si la réussite aux concours reste l’objectif principal des CPGE, « les élèves que nous accueillons en première année ont des projets d’orientation un peu moins marqués que par le passé ». Pour ces élèves, l’orientation dans une prépa est aussi, parfois, une manière de repousser l’heure du choix, « il faut donc leur donner les qualités transversales pour pouvoir être à l’aise partout », rappelle-t-elle.
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Compétences comportementales et esprit d’équipe
Avec la hausse régulière du nombre d’élèves inscrits en CPGE (plus de 86 000 à la rentrée 2017, contre 78 000 dix ans plus tôt) et la diversification de leur profil, mais aussi face à la demande croissante des écoles en soft skills, ces compétences comportementales qu’apprécient les entreprises, la mission des prépas est désormais aussi d’aider les élèves à développer leur personnalité, leur esprit du collectif.
Et les étudiants en sont plutôt statisfaits. Une récente enquête de l’Edhec NewGenTalent Centre, qui se définit comme un « centre d’expertise sur les nouvelles générations », va en tout cas dans ce sens : « Les milliers d’élèves de prépa que nous avons interrogés placent le “sens du collectif” parmi les dix principales qualités qu’ils estiment avoir acquises en CPGE. Bien loin de l’image d’individualisme qu’on pouvait avoir il y a vingt ans », note Manuelle Malot, la directrice du centre. Les autres qualités les plus citées sont la capacité de travail, la persévérance, l’adaptabilité, l’organisation, le goût du challenge, la créativité et la patience.
Problématisation et capacité d’adaptation
« Les élèves passés par une prépa avant d’arriver chez nous sont en général assez bons et structurés, notamment sur leur capacité à rédiger et à lire vite, à synthétiser et à appréhender des problèmes complexes », affirme Dominique Royoux, vice-président à l’insertion et à l’orientation de l’université de Poitiers. Ici, comme dans bien d’autres universités, une convention a été signée pour organiser les passerelles entre CPGE et universités. Environ 50 % des étudiants de prépa littéraire intègrent en effet l’université après deux années de CPGE selon une étude réalisée en 2013, contre 13 % d’élèves de la filière économique, et 7 % de la filière scientifique. Ces étudiants, l’université les accueille les bras grands ouverts parce qu’« ils savent s’adapter, élaborer des questionnements nouveaux et apprendre », explique le professeur de géographie.
Et pourtant sur le moment, en prépa, « on se demande parfois pourquoi on apprend telle ou telle chose. Tout est tellement abstrait. Ce n’est qu’après, avec le recul, qu’on s’aperçoit qu’on nous a appris… à apprendre, donc à nous adapter », témoigne Tom Defossez, 23 ans, ancien élève de maths sup et maths spé à Caen. Aujourd’hui ingénieur, il utilise tous les jours, dans la vie professionnelle comme dans la vie personnelle, la méthodologie de résolution des problèmes acquise en prépa : « Qu’est ce que je veux obtenir ? Qu’est ce que j’ai pour y arriver ? Comment je m’y prends ? ». La CPGE lui a aussi appris à « repousser ses limites intellectuelles » : « pour moi, la prépa, c’est une sorte de “life-hack”. Quand on l’a fait, tout le reste semble beaucoup plus facile », conclut-il.
Aisance orale
Parmi les autres compétences qu’on acquiert en classe préparatoire, la capacité à parler devant un auditoire. Les fameuses khôlles, qui permettent de s’exercer aux oraux des concours, sont aussi formatrices qu’anxiogènes pour les élèves. « Chaque semaine, on a deux heures où l’on est deux ou trois face à un prof », commente Elodie, 19 ans, élève en deuxième année de prépa PTSI (physique, technologie et sciences de l’ingénieur) en Haute-Savoie :
« C’est extrêmement stressant : on doit être efficace, rigoureux, trouver un raisonnement très vite et l’expliquer, sans être approximatif. »
Cet apprentissage d’une aisance à l’oral « et de la gestion de leur stress fait clairement la différence ensuite entre un élève passé par une CPGE et un autre », confirme Guy Soudjian, le proviseur du lycée Descartes de Tours où, au total, « 14 000 heures par an » sont spécifiquement dotées par l’Etat pour les interrogations orales des 800 élèves de prépas. De nombreuses CPGE organisent en plus des ateliers de renforcement à l’oral, des entretiens formalisés avec des anciens élèves ou des chefs d’entreprise, voire des ateliers « théâtre » permettant d’approfondir cette compétence-là.
Simplicité et humilité
Selon Elodie, l’étudiante de prépa PTSI en Haute-Savoie, les journées à rallonge et l’intensité de l’effort à fournir « apprennent aussi à avoir une hygiène de vie impeccable (sommeil, nourriture, etc.), à connaître ses limites physiques », raconte-t-elle. Mais aussi à « savourer les choses basiques : une balade dans la nature, un après-midi ensoleillé ou quelques flocons de neige… ». Une qualité à laquelle on ne penserait pas spontanément. Tout comme « l’humilité », qu’évoquent plusieurs anciens de classe préparatoire. En y entrant, « je suis passé du meilleur de mon lycée au dernier de ma classe, commente ainsi Olivier, 25 ans, aujourd’hui ingénieur à Toulouse. J’ai appris qu’il y aurait toujours peut-être quelqu’un de plus doué que moi dans la pièce, aussi brillant que je puisse être ». La prépa serait aussi incubateur de personnalité, en somme.