Documentaire sur Arte à 23 h 10

L'ensemble concentrationnaire d'Auschwitz
Durée : 04:33

Pas de musique, seulement le bruit du vent. Des images aériennes prises par des drones, ce qui donne à ce voyage au-dessus de l’enfer une sorte de légèreté cotonneuse. Des corps de bâtiment vus d’en haut et cerclés de jaune, de noir ou de rouge pour aider à comprendre la topographie de ces lieux pas comme les autres. Le tout accompagné par des commentaires sobres et des témoignages (Charlotte Delbo, Simone Veil, Primo Levi…) poignants. Cette mise en images et sons originale choisie par Emil Weiss, réalisateur de ce documentaire exceptionnel, ne nuit pas à l’intérêt de son enquête, et c’est ce qui fait sa force.

Auteur d’une trilogie consacrée à Auschwitz (Hourban, autrement dit « la destruction ») diffusée sur Arte (Sonderkommando Auschwitz-Birkenau, en 2007, Auschwitz, premiers témoignages, en 2010, et Criminal Doctors, Auschwitz, en 2013), Weiss s’est rendu à de nombreuses reprises dans ce coin du sud de la Pologne, près de la petite ville d’Oswiecim (Auschwitz en allemand). « Une fois achevée la trilogie qui traite de l’anéantissement, j’ai souhaité montrer le projet nazi global ­développé à Auschwitz et dans ses environs. Car chaque voyage que j’ai effectué sur place s’accompagnait de nouvelles découvertes qui m’ont donné envie de mieux comprendre le fonctionnement de ce complexe tentaculaire… »

Des fermes, des usines, des mines

Si l’histoire des trois principaux camps situés dans ce que les nazis appelaient la « zone d’intérêt », d’une superficie d’environ 40 km2, est connue (l’ancienne caserne polonaise devenue Auschwitz 1, le camp d’extermination de Birkenau et le camp de travail de Monowitz), ce documentaire étend son champ d’analyse à une zone bien plus grande. Au-delà de la zone d’intérêt qui, outre les trois camps, comprenait aussi des fermes, des usines, des mines, des centres de recherche, le complexe industriel d’Auschwitz se prolongeait à l’extérieur, sur une soixantaine de kilomètres.

L’ancien bâtiment de l’Union Werke. / ARTE

La zone de mort se double d’une zone de travail intense, où se déroulent de perpétuels chantiers. Entre 1940 et 1944, on y construit des laboratoires de recherche, des fermes, des usines. A la périphérie de la ville d’Auschwitz, on créé des quartiers ultramodernes destinés à héberger une population aryenne. Car, il s’agit, à partir de cette zone géographique, de mener à bien un vaste projet de germanisation de l’Europe orientale.

Pour les SS chargés des camps, la zone d’intérêt se révèle lucrative. En louant les services d’une main-d’œuvre esclave aux grandes entreprises allemandes installées sur place (Agfa, Bayer, BASF, Hoechst, Siemens, pour neciter qu’elles), les SS se remplissent les poches. Et les industriels aussi, avec ces milliers d’ouvriers ou de cobayes de laboratoire qui ne coûtent presque rien. On estime que la main-d’œuvre concentrationnaire louée aux entreprises a rapporté à la SS quelque 20 millions de reichsmarks en 1943 et le double en 1944, soit l’équivalent d’environ 130 millions d’euros.

La mine de charbon Janina, exploitée jusqu’en janvier 1945 par des déportés d’Auschwitz. / ARTE

Dans les usines, les fermes d’élevage, les serres, les laboratoires, des milliers de femmes et d’hommes déportés ont travaillé dans des conditions variant d’un lieu à l’autre. « Nous étions loin de Birkenau. Nous n’en sentions plus l’odeur. Nous ne voyions que la fumée qui montait des fours crématoires », témoigne ainsi Charlotte Delbo, affectée à la pépinière de Rajsko. Sur ces territoires du sud de la Pologne, outre l’extermination, les nazis auront expérimenté leurs politiques démographique, agricole, médicale, scientifique, industrielle.

Auschwitz Projekt, d’Emil Weiss (France, 2017, 56 min).