Au Burkina, Maxime Sou, l’enseignant qui a 100 élèves par classe et 100 % de réussite aux examens
Au Burkina, Maxime Sou, l’enseignant qui a 100 élèves par classe et 100 % de réussite aux examens
Par Morgane Le Cam (Bobo-Dioulasso, Burkina Faso, envoyée spéciale)
La classe africaine (17). Le maître d’école de Bobo-Dioulasso, qui ne compte pas ses heures pour faire progresser chaque enfant, fait des miracles et déjoue tous les pronostics.
Un coup de baguette sur la table : les dos se penchent sur les pupitres de bois délabrés. Un autre coup : les ardoises se lèvent, griffonnées d’écritures enfantines où chacun tente de conjuguer le verbe « chanter » au passé composé. Il est 7 h 45 à l’école Kua C de Bobo-Dioulasso, seconde ville du Burkina Faso, et, hormis quelques toux sèches symptomatiques de la saison froide, le silence règne dans la salle d’à peine 40 m2 où sont réunis 132 élèves.
Maxime Sou ne peut pas avoir les yeux partout, mais il tient sa classe au doigt et à la baguette. L’enseignant force l’admiration. En « vingt ans et deux mois » de carrière, ce Burkinabé de 47 ans qui enseignait surtout en classe de CM2 avant de gérer des CE2 n’est jamais descendu au-dessous des 88 % de taux de réussite à l’examen d’entrée au collège, le certificat d’études primaires (CEP).
L’école Kua C de Bobo-Dioulasso. / Sophie Garcia / hanslucas pour Le Monde
A quatre reprises, Maxime Sou a même réussi l’impensable dans un pays où les classes sont surpeuplées et sous-équipées : faire passer 100 % de ses élèves en classe de 6e. La dernière fois, c’était en 2014 : 120 élèves, 120 admis. A l’époque, au Burkina Faso, le taux de réussite moyen au CEP était de 73,5 %, et le nombre moyen d’enfants par classe fixé à 49, selon le ministère de l’éducation nationale. Maxime Sou pulvérise les scores. Quel est donc son secret ?
« L’autorité », répond d’emblée ce père de quatre enfants. En dehors de sa classe, Maxime Sou est timide et parle à voix basse. A peine ose-t-il admettre sa réussite, ou plutôt celles, nombreuses, de ses élèves. Mais, devant un tableau noir, le personnage se transforme. Lorsqu’il revêt son costume d’enseignant, sa voix porte et sa démarche est assurée. Pour capter l’attention de 132 élèves pendant trois heures, l’attitude est nécessairement théâtrale, la discipline quasi militaire.
Infographie "Le Monde"
« Ça m’empêche de dormir »
Faut-il voir un lien avec son rêve d’enfant, celui de devenir gendarme ? L’homme esquisse un sourire. « Au début des années 1990, il n’y avait pas de recrutement dans l’armée. Je n’ai pas pu passer les concours, il a fallu que je cherche une autre voie. » Presque par défaut, Maxime Sou passe avec succès le concours d’enseignant en 1995. Suivent deux années de formation avant d’être « valsé en brousse », à Kouka, dans l’ouest du pays.
« Ma vocation s’est construite, elle n’était pas spontanée », dit-il. A Kouka, il y eut tout de même un déclic. Sa première fierté d’enseignant, dont il se rappelle comme si c’était hier, porte le nom de Sidiki Dao. « Je l’avais en classe de CM1. Son papa était paysan. Je savais qu’il était brillant mais que, s’il restait à Kouka, il n’aurait pas beaucoup de chances de terminer sa scolarité. » Maxime Sou décide d’emmener Sidiki avec lui lorsqu’il est muté à Bama, plus au sud. Quelques années plus tard, Sidiki Dao intégrera l’école la plus prestigieuse du Burkina Faso, le Prytanée militaire de Kadiogo. « Aujourd’hui, il est sous-lieutenant. »
La classe de Maxime Sou compte 132 élèves. / SOPHIE GARCIA /HANS LUCAS POUR LE MONDE
Pour Maxime Sou, la réussite de ses élèves est un peu la sienne. « Quand je leur donne un devoir et que je me rends compte que la classe n’a pas la moyenne, ça m’empêche de dormir. Ce sont un peu mes enfants », glisse-t-il. « Don de soi » et « sacrifices » sont les maîtres mots de l’enseignant. Mais aussi « fatigue » et « pression morale ». « En 2014, j’ai demandé à ne plus avoir des classes où il fallait faire passer des examens. J’étais à 22 de tension, le médecin m’a dit de me ménager. »
Cours de soutien deux fois par mois
Les journées de Maxime Sou restent chargées. Debout à 5 h 30, il arrive à l’école une heure plus tard. En théorie, les cours ne doivent pourtant commencer qu’à 7 h 30. « Mais parfois je dis aux élèves de venir à 7 heures pour faire un devoir de plus. » C’est l’autre secret de la réussite de Maxime Sou. Imposer deux devoirs par jour quand les autres enseignants burkinabés n’en donnent généralement qu’un. Et donc se lever à l’aube pour corriger chaque jour 132 copies supplémentaires, avec l’aide de son suppléant et de deux stagiaires.
« Il peut même en donner jusqu’à trois par jour », chuchote Alain Sanou, l’un des deux enseignants stagiaires, en pleine leçon de français. L’apprenti le reconnaît : assister Maxime Sou, c’est endosser une charge de travail supplémentaire. « C’est un modèle », poursuit-il en listant sur un large cahier les points abordés lors de la leçon. « La différence entre lui et les autres professeurs, c’est qu’il dialogue avec les enfants. Il joue avec eux, leur propose au lieu de leur imposer. Mais en même temps il est sévère, surtout avec ceux qui n’apprennent pas leurs leçons », résume Alain Sanou.
Malgré le sureffectif, les élèves ne portent jamais longtemps le bonnet d’âne. Deux samedis matins par mois, l’enseignant organise, bénévolement, des cours de soutien auxquels participent une trentaine de volontaires. « Il faut porter l’attention sur les élèves les moins bons. C’est parfois difficile pour les parents de comprendre que l’enfant doit encore se rendre à l’école. Certains parents disent qu’ils n’ont pas le temps et que le maître est dérangeant. Mais je continue », abrège-t-il en regardant sa montre.
La classe africaine : état de l’éducation en Afrique
Durée : 01:56
Alphabétisation des recalés
Il est 18 heures. La nuit est tombée et les cours sont terminés depuis une heure. Là encore, en théorie. « Je suis en retard », dit avec gêne Maxime Sou. Il se lève et traverse la cour de l’école pour rejoindre le tableau noir. Devant les pupitres, ses élèves de CE2 ont laissé la place à des adultes. Après l’école, l’enseignant consacre ses débuts de soirée à l’alphabétisation des recalés du système scolaire.
Ce n’est qu’après 20 heures qu’il tombe le costume de professeur et part rejoindre ses quatre enfants et sa femme. A la maison, l’ambiance reste studieuse car cette année, c’est au tour de son épouse de se construire une vocation. Dans quelques mois, elle tentera elle aussi de passer le concours pour devenir enseignante.
Sommaire de notre série La classe africaine
De l’Ethiopie au Sénégal, douze pays ont été parcourus pour raconter les progrès et les besoins de l’éducation sur le continent.